SAINT TROPEZ : Sylvie BOURGEOIS : « Comment mon passé est…
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SAINT TROPEZ : Sylvie BOURGEOIS : « Comment mon passé est devenu le terreau d’inspiration de mon écriture »
Marcelline l’aubergine présente sa créatrice l’écrivain Sylvie Bourgeois Harel Marcelline l’aubergine présente sa créatrice l’écrivain Sylvie Bourgeois Harel.
La chose la plus difficile, quand on a commencé d’écrire, c’est d’être sincère, disait André Gide. Je suis tout à fait d’accord avec lui.
Je viens de regarder longtemps ma photo ci-dessous pour essayer de comprendre qui était cette jeune fille de 18 ans. Je suis en terminale A4 à Pontarlier. En juin, ma mère avait supplié le proviseur de m’accepter dans son établissement privé et catholique malgré mon désastreux carnet scolaire qui racontait mon parcours chaotique, depuis la 4ème, je ne faisais que de me faire renvoyer avant la fin du deuxième trimestre, toujours pour les mêmes motifs, indiscipline, impertinence, chef de bande.
Je terminais l’année dans des restaurants en Suisse où j’allais travailler comme serveuse, attendant que mes parents me retrouvent un pensionnat pour la rentrée. Je détestais l’école, le lycée, être séparée de ma mère. Je m’ennuyais pendant les cours, je ne comprenais pas leur système d’apprentissage, je n’aimais que les maths qui obéissaient à une certaine logique, je voyais les équations comme un jeu de devinettes, je n’ai rien appris au lycée, mais vraiment rien, alors je m’amusais et j’amusais ceux qui avaient envie de me suivre et si les profs me faisaient une réflexion, j’avais un verbe cinglant qui faisait mal d’où mes nombreux renvois.
Quand le proviseur a fini par dire oui à ma mère soulagée que je puisse passer mon bac, je lui ai promis que je ne serais pas impertinente. Il m’a quand même fait signer un papier comme quoi je m’engageais à obéir aux règles de l’institution des Augustins. Tous les proviseurs que j’allais voir avec ma mère me faisaient signer le même genre de papier qu’ils me brandissaient furieux sous le nez trois ou quatre mois plus tard lorsqu’ils me renvoyaient suite aux conseils de discipline où j’étais convoquée et dans lesquelles on me reprochait d’être trop vivante, d’avoir trop de personnalité, de ne pas me conformer aux règles. C’est vrai, je voulais être différente et surtout qu’on le sache. Quand il m’a expliqué les modalités de son pensionnat, je l’ai tout de suite arrêté en lui disant que je préférais être demi-pensionnaire, que je travaillerai beaucoup mieux en étant libre de mes horaires, que j’avais trop souffert durant mes quatre dernières années en internat.
Ma mère, adorable maman, un peu surprise par ma requête a néanmoins pris ma défense et a fini par argumenter qu’en effet vu mon tempérament, il valait mieux que j’aie de l’espace et, hop, deux jours plus tard, nous trouvions une chambre chez une dame rue des Lavaux, la même rue dans laquelle avait grandi mon père, dans une seule pièce qu’il partageait avec ses parents, son frère et sa sœur, qui donnait sur une cour où le dimanche matin toute la famille se lavait chacun son tour dans la même bassine d’eau chaude.
Le soir, régulièrement, je faisais du stop pour rentrer dormir chez mes parents, à 60 km de là, dans ma chambre, dans mon lit, avec mon chien, j’arrivais tard dans la nuit, ils ne m’entendaient pas. Le lendemain matin, je repartais à l’aube, sans faire de bruit. J’avais dormi à peine quelque heures. Mais j’étais contente d’avoir été chez moi. Je refaisais du stop pour retourner au lycée. Je tombais souvent sur les mêmes personnes. Un jour, au début de l’hiver, il avait tellement neigé qu’à la sortie de Besançon, il était impossible de me voir dans le brouillard, heureusement, un monsieur qui avait pris l’habitude de m’emmener s’est arrêté et m’a appelé. Il m’a sauvée la vie, j’étais frigorifiée en train de me transformer en bonhomme de neige.
Fin janvier, je suis tombée malade, hôpital, opération, maison de repos, je ne suis rentrée à la maison qu’en juin toute amaigrie. Mon père, gentil papa, ravi d’avoir réussi à quitter la rue des Lavaux et de pouvoir m’offrir des études, a voulu m’envoyer dans une boîte à bac pendant l’été afin que je puisse le passer en septembre, j’ai refusé, il s’est énervé et m’a émancipée. Le lendemain, je suis partie travailler sur une plage à Cap-d’Ail. Quelques jours plus tard, mon père a demandé à ma mère où j’étais, oubliant qu’il m’avait émancipée. C’était juste une colère tout à fait justifiée. Mais moi, j’étais déjà loin. Je n’ai plus jamais arrêté de travailler, me passionnant pour toutes sortes de boulot du moment que je pouvais apprendre.
Quant à cette jeune fille qui est sous mes yeux, j’ai envie de lui poser deux questions : pourquoi n’as-tu jamais dit à ton père que tu l’aimais ? Et aussi que fuyais-tu petite ?
Sylvie Bourgeois Harel