Skip to main content

PARIS : Institut Terram – Comprendre la géographie …

Print Friendly, PDF & Email

Partager :

PARIS : Institut Terram – Comprendre la géographie du vote RN en 2024

2024 a été marquée par une poussée sans précédent du vote en faveur du Rassemblement national (RN).

En nombre d’électeurs comme en nombre de députés – à Paris et à Bruxelles –, le RN est le premier parti de France.

Ce bouleversement du paysage politique appelle à une radiographie territoriale du vote RN pour en comprendre les causes et les implications.

Dans cette étude de l’Institut Terram, Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach adoptent une approche multiscalaire : une cartographie départementale inédite concernant la représentation de l’indice synthétique Immigration, Pauvreté et Insécurité (IPI), qui regroupe les principales motivations du vote RN revendiquées par les électeurs eux-mêmes ; une cartographie à l’échelle des communes et des bureaux de vote afin de tirer certains enseignements et d’identifier d’autres facteurs explicatifs du vote RN.

Dans le sillage du scrutin européen, la dissolution de l’Assemblée nationale a été l’occasion pour le RN de confirmer sa forte dynamique électorale. En moyenne, au premier tour des élections législatives, les candidats RN (et leurs alliés ciottistes) ont recueilli 33,2 % des suffrages exprimés, contre 18,7 % lors des législatives de 2022. Ce résultat se matérialise par l’élection dès le premier tour de 39 candidats RN et alliés. Bien que de nombreux candidats lepénistes aient échoué au second tour en raison de la mobilisation d’un large front républicain, le RN enregistre une puissante progression en nombre de sièges : 142 en 2024, contre 89 en 2022 et seulement 8 en 2017.

Géographiquement, l’intensité du vote RN lors des élections législatives de 2024 se décline selon une opposition est-ouest traditionnelle, avec des zones de force dans ses bastions du nord-est (région Hauts-de-France, ancienne région Champagne-Ardenne, auxquelles s’agrègent les confins franciliens) et du littoral méditerranéen se connectant à la vallée de la Garonne. À l’inverse, le vote RN est nettement inférieur à sa moyenne nationale dans ce que nous avons appelé la « diagonale bucolique », espace courant du sud du Massif central à la pointe de la Bretagne. Autres territoires de basse pression frontiste habituels ressortant nettement sur la carte : l’extrême pointe sud-ouest de l’Hexagone, une bonne partie du massif alpin, sans oublier l’agglomération francilienne, ainsi que les principales métropoles françaises.

Une autre constante de la géographie du vote RN a subsisté pour ces élections législatives de 2024 : sa très inégale intensité selon la variable du nombre d’habitants dans la commune. Le vote RN fluctue énormément en fonction de la taille de la commune, avec d’excellents résultats dans les petites et moyennes communes (plus de 40 % dans les communes de 2 000 habitants et moins, et des scores nettement inférieurs à sa moyenne dans les grandes métropoles).

Les sondages préélectoraux réalisés à quelques jours d’un premier tour des élections législatives apportent aussi des enseignements sur les motivations de vote des différents électorats. Si les électeurs du RN partageaient avec le reste de la population une forte sensibilité à la question du relèvement des salaires et du pouvoir d’achat, ils se distinguaient toujours et encore par une extrême focalisation sur la question de l’immigration et la délinquance.

La combinaison de différentes variables utilisées dans notre indice inédit Immigration, Pauvreté, Insécurité (IPI) confirme leur rôle prépondérant dans l’environnement géographique des électeurs du RN. C’est la juxtaposition d’une criminalité élevée, d’un niveau de pauvreté et d’inégalités important, et d’une présence d’une population issue de l’immigration significative dans un département donné qui constitue, dans la plupart des cas, le terreau le plus propice à l’essor du vote RN. Dans ce type d’environnement, insécurité physique, insécurité économique (et/ou dénonciation de l’assistanat) et insécurité culturelle se renforcent mutuellement et créent un climat d’opinion et un état d’esprit particulièrement réceptifs aux messages du parti lepéniste.

Bien entendu, d’autres paramètres entrent en jeu lorsque l’on cherche à affiner l’analyse et à changer d’échelle géographique. Ce que nous avons appelé le capital résidentiel – la valeur et la désirabilité du lieu dans lequel réside un individu – nous semble particulièrement pertinent pour analyser, voire prédire, le vote RN à une échelle géographique plus fine que l’échelle départementale. À l’instar du capital culturel et du capital économique, qui peuvent se mesurer synthétiquement par des indicateurs comme le niveau de diplôme et le niveau de revenu ou le montant du patrimoine, le capital résidentiel dispose lui aussi de son mètre-étalon : le prix du mètre carré (à l’achat comme à la location). Celui-ci va certes varier en fonction du type de bien immobilier (maison ou appartement, neuf ou ancien), mais plus fortement encore selon la localisation du bien en question. Dans une même ville, le prix du mètre carré va parfois fortement fluctuer d’un quartier ou d’un microquartier à un autre. À l’échelle plus vaste du département, la même structuration du marché s’opère souvent avec des prix de l’immobilier, qui sont les plus élevés dans la ville-centre et qui déclinent ensuite progressivement au fur et à mesure que l’on s’en éloigne. Se dessine une France avec des citoyens disposant d’un capital résidentiel fort ou faible à l’instar du capital culturel ou du capital économique chers à Pierre Bourdieu.

Un statut de « dominés » dans le champ résidentiel n’est pas sans effet sur les comportements électoraux de ces populations. Lors du scrutin législatif de 2024, comme pour toutes les élections depuis la fin des années 1990, on constate que le niveau de vote RN est indexé sur ce que l’on a appelé un « gradient d’urbanité », c’est-à-dire la distance qui sépare la commune étudiée de l’agglomération de plus de 100 000 habitants la plus proche. Sur le plan national, l’intensité du vote RN est la plus faible (24,6 %) dans les zones situées à moins de dix kilomètres du centre d’une agglomération de 100 000 habitants, puis, au fur et à mesure que l’on s’éloigne du sommet de la hiérarchie urbaine et de ces communes dont le capital résidentiel des habitants est tendanciellement le plus élevé, le vote RN monte en puissance alors que le capital résidentiel diminue. Le vote RN se maintient à des niveaux très élevés dans les zones rurales éloignées de plus de cinquante kilomètres d’un centre urbain principal.

Le soutien dont le RN dispose dans cette France rurale et des petites villes semble également renvoyer à deux phénomènes sociologiques importants : l’« empathie de point de vue » et l’« homologie de situation ». Autrement dit, le fait, d’une part, que le RN et ses cadres semblent se soucier des problèmes rencontrés par ces citoyens (insécurité, pouvoir d’achat, etc.) et, d’autre part, que les électeurs puissent s’identifier à un parti ou à ses membres éminents. Pour les électeurs, le statut de parias, l’hostilité, le mépris de classe ou intellectuel dont sont victimes les représentants du RN renvoient à ce qu’eux vivent également à leur niveau. Ces deux phénomènes s’emboîtent parfaitement avec la géographie du vote RN et les problématiques politiques et sociales rencontrées sur ces territoires.