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PARIS : Du rêve au cauchemar d’Internet

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PARIS : Du rêve au cauchemar d’Internet

Comme beaucoup sinon toutes les inventions technologiques, Internet a fait l’objet de projections chimériques.

 Mais à l’inverse des dystopies futuristes (de 1984 à Matrix) traditionnellement associées à un monde froid, gouverné par des machines, entre industrie et technocratie, voici que l’ordinateur, d’instrument d’oppression, a mué en outil de libération. Et c’est ainsi qu’est advenue l’“utopie Internet”, investie de toutes les vertus : liberté,  gratuité – même “le grand événement anarchiste” selon l’écrivain de SF et inventeur du “cyberespace” William Gibson…

Pour rendre compte tout à la fois de la réalité et des fantasmes dont Internet fait l’objet, Félix Tréguer commence sa Contre-histoire d’Internet par l’« invention » de l’imprimerie au XVe siècle. Parce que les enjeux sont ceux de la liberté d’expression, il faut historiser les tensions entre la société et l’État au travers des diverses formes qu’elles ont prises depuis la Renaissance.

Comment en est-on arrivé à ce qu’Internet, pour toute une génération, soit investi de la capacité à démocratiser la liberté d’expression, forcer les institutions à la transparence, faire émerger une bibliothèque universelle, des lieux d’échange de connaissances. Mais aussi briser l’hégémonie des grands médias et transformer durablement les rapports de force au sein de l’espace public. Internet nouveau pilier d’une démocratie digne de son nom et dont les hackers sont les héros ?

Au fil de la longue histoire de la bataille pour les libertés publiques, l’auteur souligne les lignes de continuité, les moments critiques, les changements de stratégie, les singularités et les variations selon les contextes nationaux. L’auteur découvre “les traces oubliées des ‘vaincus’”, dont il honore “la détermination, l’inventivité, la pertinence des analyses” en espérant qu’on apprenne même de leurs échecs.

On doit maintenant affronter l’échec de ce projet émancipateur. L’horizon démocratique a reculé en même temps que les libertés traditionnelles. La domination des oligopoles médiatiques sur l’espace public a augmenté. Et on fait face aux effets sur nos sociétés de ce gigantesque réseau de communication. Même la “verdisation” promise par le numérique avec le nouveau millénaire se révèle constituer un colossal coût écologique. “Au point où il est raisonnable de penser, se demande l’auteur, s’il aurait été préférable que jamais l’ordinateur ne fût inventé ?”

Ainsi l’informatique est-elle peut-être le dernier, sinon le plus puissant des “mythes modernes du progrès”, dont la critique philosophique a commencé, selon Jacques Bouveresse, bien avant son invention…

De cette Contre-histoire d’Internet, dont la première édition est parue en 2019, notre réédition a bien sûr gardé tout l’appareil de référence historique et philosophique (d’Habermas à Foucault) sur lequel l’auteur a bâti son propos. Mais son actualisation intègre les évolutions importantes qu’ont connues les batailles autour d’Internet, du journalisme et de la liberté d’expression — dont la persécution de Julian Assange et de WikiLeaks.

Nos dernières LettrInfos (23-XII & 23-XIV) ne nous ont pas valu que des mots doux. Ainsi d’un émérite sociologue du travail le curieux qualificatif de “poujadiste” sans autre explication. Qui tranche avec les soutiens de nos positions pour le moins peu consensuelles. Dont un émouvant souci venu d’une lectrice qui s’inquiète de notre critique d’un pape du journalisme (annoncée en 23-XI et tombée en 23-IV). Ce serait moins du courage qu’un suicide de critiquer frontalement le directeur d’un média aussi important alors que tout éditeur a besoin de médias importants pour promouvoir sa production, et que la nôtre mérite vraiment de l’être…

Comment rassurer cette lectrice, ambassadrice de nos bienveillants lecteurs ? Car elle a bien raison de signaler la grande servilité dont fait preuve le petit monde de la grande et de la petite édition avec les médias dominants. Comment donc être rassurant ?

Peut-être en revenant aux origines de nos relations avec la presse mainstream ? Car c’est dès le deuxième numéro de la revue Agone, en… 1991, que nous avons commencé à gâcher nos chances avec des “Remarques sur le journalisme” à propos du traitement de la révolution roumaine de 1989 par la presse française. Une analyse de la manière dont erreurs, mises en scène spectaculaires et manipulations au service de la vision dominante furent, un an plus tard, constatés. Et aussitôt les fautifs excusés — par eux-mêmes. Jusqu’à la prochaine fois : fake, absolution — et tourner manège !

Cette ligne éditoriale, qui sera qualifiée plus tard de “critique radicale des médias” – au sens d’un “retour à la racine, à ce qui est premier, fondamental” –, sera au cœur de la revue puis de la maison d’édition qu’elle a fait naître. Avec des auteurs comme Karl KrausAlain AccardoNoam ChomskyPierre Bourdieu et Serge Halimi.

Donnons quelques étapes de notre suicide médiatique, avec les six éditions de L’Opinion ça se travaille (2000-2006) – qu’il faudra vraiment réactualiser ! Les coéditions avec Acrimed, dont le dernier, Les Médias contre la gauche, complété par un appel à « abattre la presse bourgeoise », a reçu l’accueil qu’il méritait ! Enfin, bien sûr, le compagnonnage de PLPL. Le journal qui mord et fuit (2000-2005) – dont il faudra vraiment remettre en ligne une partie du fonds !

Avec tout ça, comment imaginer qu’on puisse compter sur les médias dominants pour promouvoir nos livres ? Bien sûr, parfois, une journaliste du Monde fait son travail, comme récemment — à l’occasion du livre de Laurence De Cock sur les Freinet. Mais c’est un peu une bavure. Que ne commet jamais Le Monde des livres. Au moins depuis l’accueil par Jean Birnbaum de l’invitation en 2010 de Noam Chomsky par le Collège de France. Une entorse toutefois au silence avec lequel les grands médias accueillent habituellement notre production.

En espérant que ces précisions sont rassurantes, puisqu’on fait sans depuis 30 ans…