PARIS : Asterès analyse la santé de l’économie russe
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PARIS : Asterès analyse la santé de l’économie russe
Dans la présente note, Asterès analyse la santé de l’économie russe et pointe des signes de faiblesse croissants, notamment la baisse du rouble.
L’économie russe semble avoir bien résisté aux sanctions internationales, mais des difficultés et des interrogations apparaissent. La qualité des statistiques publiques est sujette à débat, le niveau d’inflation et de croissance sont notamment contestés par des sources alternatives. La baisse du rouble, malgré un soutien actif de la banque centrale, est le reflet de difficultés croissantes. Les finances publiques semblent saines, même si le niveau des taux souverains interroge et renforce les doutes quant à la fiabilité des chiffres de l’inflation.
Statistiques russes : Une fiabilité contestée
La Russie publie de moins en moins de données économiques. Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022, la Russie a cessé de publier plusieurs données économiques, notamment les détails concernant son commerce extérieur (probablement pour rendre les sanctions « aveugles ») 1.
L’absence de ces données rend plus incertaine l’analyse globale de l’économie russe.
La fiabilité des données qui continuent à être publiées pose parfois question2. Les chiffres d’inflation et de croissance notamment sont sujets à débat. Une mesure de l’inflation différente de celle utilisée par Rosstat indique une hausse des prix nettement plus élevée3. En conséquence, la croissance réelle de l’économie, qui correspond à la croissance nominale à laquelle est retranchée la hausse des prix (déflateur du PIB et non indice des prix à la consommation dans le cas du calcul de la croissance réelle) pourrait être plus faible que le chiffre officiel. Il se peut que le gouvernement russe cherche à améliorer les statistiques publiées à des fins de propagande. Il est aussi possible que, au vu des chocs qui impactent l’économie russe (sanctions, réorientation vers l’économie de guerre) les mesures de l’activité économique et des prix aient momentanément perdu en précision (un problème similaire s’était posé à de nombreux pays pendant
la crise Covid4).
Croissance et inflation : Des forces et des faiblesses
La croissance russe semble avoir rapidement rebondi et l’inflation s’être calmée. Les sombres prévisions concernant l’économie russe ne se sont pas matérialisées. Le FMI prédisait au printemps 2022 une récession de 8,5 % en Russie pour cette année-là5, l’institution estime désormais que la contraction du PIB a été limitée à 1,2 %. La croissance a ensuite rebondi en 2023 et 2024 si bien que, en 2024, le PIB russe devrait être environ 6 % supérieur à son niveau de 20216. Le contournement des sanctions commerciales, la hausse du prix des matières premières (notamment en 2022), le soutien budgétaire et la hausse de la production militaire expliquent cette résilience de l’économie russe. Dans le même temps, l’inflation, qui avait atteint 14 % en 2022, a baissé à 8 % en 2024 selon le FMI. Le redressement du rouble en 2023 et la hausse des taux de la banque centrale russe ont aidé à juguler l’inflation.
Economie russe : Des faiblesses apparaissent
Des mesures alternatives apportent un éclairage plus sombre sur l’économie russe. Le FMI se base sur les données officielles du pays. Selon l’institut de recherche Romir, qui considèrent une pondération différente que celle de Rosstat des différents biens et services dans l’indice des prix, l’inflation serait deux fois plus élevée, aux alentours de 16 % 7 . Des mesures alternatives du PIB pointent une évolution différente. En 2023, la croissance russe a officiellement été de 3,6 %. En reconstruisant la croissance russe à partir de l’évolution du prix du pétrole, le Stockholm Institute of Transition Economics estime en revanche une baisse du PIB de 1,7 %, et même de 8,7 % en considérant des chiffres plus élevés de hausses de prix (qui servent à calculer l’écart entre le PIB nominal et réel) 8 .
Baisse du rouble : Le signe de difficultés croissantes
La baisse récente du rouble indique que l’économie russe fait face à des vents contraires. Le rouble est actuellement à un plus bas historique face au dollar, exception faite de l’effondrement momentanée suite au déclenchement de la guerre en Ukraine. Cette évolution n’est pas due à la hausse du dollar, car une évolution similaire du rouble s’observe vis-à-vis de l’euro ou du yuan. Cette baisse du rouble est d’autant plus notable que la banque centrale russe tente de défendre sa monnaie en augmentant fortement ses taux d’intérêt, ce qui ne suffit pas à attirer suffisamment de capitaux pour maintenir le change, du fait des sanctions ou du manque de confiance des investisseurs russes. Le niveau des taux d’intérêt renforce les questionnements sur la fiabilité des chiffres de l’inflation russe.
– Scénario 1 : si l’inflation russe est bien à 8 %, le pays risque une crise de change. Les taux directeurs en Russie sont à 21 % ce qui implique, avec une inflation à 8 %, des taux réels de 13 %, soit un niveau extrêmement élevé. Un tel niveau de taux réels signifie que, malgré une rentabilité très élevée, la Russie est incapable d’attirer (ou de retenir) des investisseurs pour soutenir sa devise, d’autant plus que le reste du monde (notamment les Etats-Unis) est plutôt engagé dans un mouvement de baisse des taux. Cela signifierait que le pays est menacé par une chute du rouble (donc une hausse de l’inflation importée) puisque les efforts vigoureux de la banque centrale ne suffisent pas à stabiliser le change.
– Scénario 2 : si l’inflation est supérieure à 8 %, le risque de crise de change est plus éloigné. En considérant une inflation à 16 % (pour reprendre l’estimation alternative mentionnée plus haut), les taux directeurs réels seraient de 5 %. Cela correspond toujours à un niveau élevé, mais dans cette situation les efforts de la banque centrale pour soutenir le rouble semblent moins désespérés, et le risque d’un effondrement du change plus lointain.
Finances publiques : Une solidité apparente
Les finances publiques russes semblent solides, mais la fonte du Fonds de richesse national et le niveau des taux souverain pose question. Le déficit public russe est faible, à -1,9 % du PIB en 2024
d’après le FMI, et ce malgré une forte hausse des dépenses militaires (compensée notamment par une hausse d’impôts et une baisse des dépenses sur les autres postes) 9 . La dette publique est également limitée, à moins de 20 % du PIB. Cependant, le pays a rapidement dilapidé ses réserves passées constituées grâces aux hydrocarbures, le montant du Fonds de richesse national est passé de 12,1 % du PIB en mai 2021 à 6,6 % du PIB en juin 202410. De plus, le niveau élevé des taux d’intérêt laisse penser que le pays peine à financer son déficit, même limité, du fait des sanctions, ou que le chiffre d’inflation officiel est sous-estimé.
– Scénario 1 : si l’inflation russe est bien à 8 % le financement du déficit public est difficile. L’Etat russe s’endette actuellement à 16 % à échéance 10 ans11ce qui implique, avec une inflation à 8 %, des taux réels de 8 % (en supposant ce niveau d’inflation stable sur les dix prochaines années). Il s’agirait d’un niveau de taux réels très élevés, qui signifierait que l’Etat russe est en grande difficulté pour financer son déficit, puisqu’il est obligé de proposer un rendement attractif pour séduire des investisseurs (majoritairement russes du fait des sanctions internationales).
– Scénario 2 : si l’inflation est supérieure à 8 % la situation des finances publiques semble moins problématique. En considérant une inflation à 16 %, le taux réel des emprunts russes est de 0 %. Cela représenterait une situation dans laquelle le financement du faible déficit public ne pose pas de difficultés notables.
Sylvain BERSINGER, chef économiste chez Asterès.
1 https://www.osw.waw.pl/en/publikacje/analyses/2023-05-24/credibility-russian-economic-statistics-a-growing-problem et https://cedarus.io/research/russian-statistics
2 https://cedarus.io/research/russian-statistics
3 https://www.konj.se/download/18.443e2a2a19246dbc98a2c89/1727781967239/2024-10-01%20Report%20on%20the%20Russian%20economy.pdf
4 https://blog.ons.gov.uk/2024/08/07/updating-the-picture-of-post-pandemic-uk-economic-growth/
5 https://www.reuters.com/business/finance/imf-cuts-global-growth-forecast-due-seismic-waves-russias-warukraine-2022-04-19/
6 Calculs Asterès d’après WEO
7 Romir cité par (Page 29): https://www.konj.se/download/18.443e2a2a19246dbc98a2c89/1727781967239/2024-10-01%20Report%20on%20the%20Russian%20economy.pdf
8 Page 30-31: https://www.konj.se/download/18.443e2a2a19246dbc98a2c89/1727781967239/2024-10-01%20Report%20on%20the%20Russian%20economy.pdf
9 https://www.bofbulletin.fi/en/blogs/2024/russia-further-increases-military-expenditure-at-the-expense-ofother-financing-needs/
10 Page 24: https://www.konj.se/download/18.443e2a2a19246dbc98a2c89/1727781967239/2024-10-01%20Report%20on%20the%20Russian%20economy.pdf
11 https://tradingeconomics.com/russia/government-bond-yield