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PARIS : Asterès analyse la réindustrialisation en cours aux Etats-Unis

Asterès analyse la réindustrialisation en cours aux Etats-Unis et ses conséquences possibles sur l’Europe.

Les Etats-Unis connaissent une forte hausse de la construction d’usines.

La politique du président Biden (Inflation Reduction Act, CHIPS Act) porte ses fruits, comme l’indique l’explosion de la construction industrielle dans le secteur informatique-électronique-électrique. Cette réindustrialisation américaine présente une menace pour l’Europe, d’autant plus qu’elle s’accompagne de mesures protectionnistes, mais elle constitue également des opportunités : accélération de la décarbonation des économies, hausse de la croissance américaine, effets d’apprentissage et décongestion des chaînes de valeur mondiales.

1) Construction d’usines aux Etats-Unis : Une hausse tirée par le secteur informatique-électronique-électrique

La politique de soutien à l’industrie du président Biden est un succès. En 2022 les Etats-Unis ont mis en place la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act, abrégée en « IRA ») qui, en dépit de son nom, vise principalement à subventionner les entreprises qui investissent dans la transition énergétique aux Etats-Unis, et le CHIPS1 Act dont l’objectif est de financer la recherche et la fabrication de semi-conducteurs. Les montants engagés par le gouvernement américain (subventions ou baisse de charges) atteindraient plusieurs
centaines de milliards de dollars sur les dix prochaines années, même si le coût exact n’est pas encore connu, puisqu’il dépendra du nombre d’entreprises qui s’engageront dans des projets et donc qui auront droit à des subventions2. D’après certaines estimations, le montant total des subventions pourrait atteindre 1 200 milliards de dollars, soit près de trois fois le montant initialement prévu3
Le succès est en tout cas au rendez-vous, puisque les constructions industrielles aux Etats-Unis ont plus que doublé entre le premier semestre 2021 et le premier semestre 20234
Ce bond des constructions industrielles est d’autant plus notable qu’il ne s’observe pas, ou dans des proportions nettement moindres, dans les autres pays occidentaux5.

Réindustrialisation américaine : Une tendance qui peut aussi bénéficier à l’Europe

La hausse des constructions industrielles s’explique uniquement par une envolée dans le secteur informatique-électronique-électrique. Les constructions industrielles sont globalement stables dans l’ensemble des secteurs industriels aux Etats-Unis. L’exception est le secteur informatique-électronique-électrique, qui a vu la valeur des constructions industrielles multipliées par plus de dix en deux ans. Cette évolution est cohérente avec la politique menée puisque l’IRA et le CHIPS Act ciblent les secteurs informatiques (semi-conducteurs) et électriques (batteries ou éoliennes par exemple). Ce n’est donc pas une réindustrialisation générale qui est à l’œuvre aux Etats-Unis, mais une dynamisation sectorielle à la fois très vigoureuse et très ciblée.

2) Réindustrialisation des Etats-Unis : une menace et une opportunité pour l’Europe

Les programmes lancés par le président Biden ont suscité la crainte d’une désindustrialisation en Europe, mais le continent pourrait également bénéficier de cette politique. L’IRA comporte certaines clauses clairement protectionnistes (comme des subventions réservées uniquement aux voitures électriques fabriquées aux Etats-Unis), ce qui suscite des craintes de concurrence déloyale de la part des industriels européens (ou d’autres pays du monde). Une seconde inquiétude concerne l’avance technologique que pourraient prendre les Etats-Unis, qui distanceraient leurs rivaux européens. Ces craintes, légitimes, doivent cependant être tempérées.

Plusieurs facteurs laissent penser que l’Europe pourrait également bénéficier de la revitalisation de l’industrie informatique, électronique et électrique américaine :

– Les Etats-Unis s’engagent dans la lutte contre le réchauffement climatique.
L’Inflation Reduction Act vise avant tout à décarboner l’économie américaine en mettant l’accent sur les aides et les subventions publiques à destination des énergies renouvelables.
Après le mandat de Donald Trump, marqué par le retrait de l’accord de Paris, il est encourageant de voir les Etats-Unis engager des efforts vers la réduction des émissions de carbone. L’Europe, comme le reste du monde, a tout intérêt à une politique environnementale vigoureuse aux Etats-Unis.
– La prospérité de l’industrie américaine n’est pas nécessairement néfaste à l’industrie européenne. La hausse de la production industrielle américaine ne se fera pas nécessairement au détriment de l’industrie européenne (à l’exception probable des secteurs protégés comme la voiture électrique). Une croissance américaine plus soutenue implique une hausse de la demande, donc des exportations européennes. Le solde commercial d’un pays résultant de l’écart entre l’épargne et l’investissement, et non du niveau de production industrielle, rien n’indique qu’un renforcement de l’industrie américaine conduirait à une réduction de l’excédent commercial que la zone euro dégage avec les Etats-Unis6.

De plus, l’IRA et le CHIPS act devraient, toute choses égales par ailleurs, conduire à une appréciation du dollar par rapport à l’euro (hausse de la croissance, de la demande d’investissement, donc des taux d’intérêt). Depuis deux ans, l’euro a perdu près de 10 % par rapport au dollar (une évolution qui a de multiples causes au-delà de la hausse de la construction industrielle aux Etats-Unis), ce qui renforce d’autant la compétitivité des exportations européennes et invite à la prudence quant au risque d’une désindustrialisation massive de l’Europe au profit des Etats-Unis.
– L’Europe peut bénéficier d’effets d’apprentissage. Les investissements et l’innovation déployés par les Etats-Unis peuvent générer des effets d’apprentissage qui pourraient servir à l’Europe dans sa propre transition énergétique. En observant les technologies et les politiques qui fonctionnent plus ou moins bien aux Etats-Unis, l’Europe pourrait mener des stratégies plus efficaces. Historiquement, la forte croissance européenne des « Trente Glorieuses » avait été notamment tirée par l’adoption en Europe de processus de production et de technologies qui avaient fait leurs preuves aux Etats-Unis.
– L’Europe peut bénéficier d’une moindre tension sur les chaines d’approvisionnement.
La concentration de certaines productions spécifiques dans un petit nombre de pays (comme les semi-conducteurs à Taïwan) rendent les chaînes de valeur mondiales vulnérables à des chocs géopolitiques ou à des catastrophes naturelles. Plus le nombre de producteurs de technologies de pointe et élevé, plus l’Europe peut en tirer parti en réduisant le risque de pénurie. Il serait certes préférable pour l’Europe de produire ces technologies sur son propre territoire, mais le fait que les Etats-Unis augmentent leur production peut également être bénéfique aux autres pays.

1 CHIPS signifie « Creating Helpful Incentives to Produce Semiconductors »

2 Paul Krumgan, The New York Times, « How to Think About Green Industrial Policy », 9 mai 2023

3 https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-03-23/goldman-sees-biden-s-clean-energy-law-costing-us1-2-trillion?sref=qzusa8bC#xj4y7vzkg

4 Census bureau, https://www.census.gov/construction/c30/historical_data.html

5 https://home.treasury.gov/news/featured-stories/unpacking-the-boom-in-us-construction-of-manufacturingfacilities#:~:text=The%20United%20States%20has%20experienced,of%202021%20(Figure%201).

6 https://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/15131943/6-14102022-AP-EN.pdf/78ee90dc-3572-bb89-94b1-7d66da287a5d