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PARIS : Asterès analyse la possibilité de vendre à perte du carburant
Dans la présente note, Asterès analyse la possibilité de vendre à perte du carburant annoncée par Elisabeth Borne, une mesure qui ne devrait pas avoir un impact significatif sur le pouvoir d’achat.
La possibilité de vendre du carburant à perte ne semble pas être en mesure d’accroître sensiblement le pouvoir d’achat des ménages. La hausse récente du prix des carburants est portée par le rebond du prix du pétrole et la baisse de l’euro, des facteurs sur lesquels le gouvernement n’a pas de marge de manœuvre.
L’autorisation de vente à perte ne paraît pas être la meilleure stratégie pour faire face à cette situation :
– Il est peu probable que les distributeurs de carburant le vendent à perte, même une baisse de leurs marges ne génèrerait au mieux qu’un gain de 2 centimes par litres.
– La vente à perte, si elle était réalisée par les grandes surfaces, pourrait générer des effets pervers : hausse des prix d’autres produits pour compenser les pertes sur la vente de carburants ou éviction de certains pompistes (si la mesure se prolongeait) qui conduirait à un renforcement du pouvoir de marché des grands acteurs.
– Des aides ciblées aux ménages les plus impactés par la hausse des carburants semble la solution préférable.
1) Hausse du prix des carburants : des causes profondes
La hausse du prix des carburants s’expliquent par des phénomènes de fond qui dépassent le seul cadre français. Depuis le début de l’été 2023, le prix des carburants est reparti à la hausse et se situe en moyenne aux alentours de 2 € le litre. Plusieurs causes expliquent cette évolution. La première est la hausse du prix du baril, qui est passé de 75 $ (brent) en juin à plus de 90 $ début septembre, du fait de la volonté de l’Arabie Saoudite et de la Russie de brider la production pour soutenir les prix. Cette évolution a été d’autant plus pénalisante en France puisque, dans le même temps, l’euro s’est légèrement déprécié par rapport au dollar, ce qui a renchéri le prix du pétrole (libellé en dollar). Enfin, des indisponibilités dans certaines grandes raffineries ont également contribué à pousser le prix
des carburants à la hausse1
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Vente à perte de carburant : peu de gains de pouvoir d’achat à attendre
2) Vente de carburant à perte : des marges de manœuvre limitées
Il est peu probable que le carburant soit massivement vendu à perte. Elisabeth Borne a annoncé la possibilité pour les distributeurs de carburant de vendre à perte dans les mois à venir, alors qu’une telle pratique est normalement interdite (sauf période de soldes, qui sont un cas spécifique, voir encadré). D’après Asterès, les marges des pompistes sont faibles, d’environ deux centimes par litre de carburant. Même s’ils vendaient légèrement à perte, le gain ne serait au mieux que de quelques centimes par litre. Une telle vente à perte est cependant peu probable sans compensation de l’Etat. Le fondement d’une économie capitaliste comme celle de la France est la recherche du profit par des entreprises privées. Il est difficile d’imaginer des entreprises qui accepteraient de travailler tout en perdant de l’argent, puisqu’il deviendrait alors préférable pour elles de cesser leur activité (ce qui, dans ce cas, pourrait générer des pénuries).
D’éventuelles ventes à perte dans les grandes surfaces pourraient être compensées par des hausses de prix sur d’autres produits. Des ventes de carburants (légèrement) à perte peuvent être envisageables dans les grandes surfaces, puisque le carburant constitue un produit d’appel (attirer un client dans sa zone de chalandise pour qu’il fasse ses courses dans la grande surface). Les automobilistes pouraient ainsi gagner quelques centimes par litre dans les stations service des grandes surfaces. Mais ils est possible que ces dernières, bénéficiant de la clientèle captive qu’elles auraient ainsi attirée, en profitent pour augmenter leurs prix en rayon de manière à compenser la perte réalisée sur la vente de carburants. Cette stratégie peut être rendue possible par le fait que les prix d’une multitude de produits en rayons sont moins facilement comparables pour le consommateur que les prix à la pompe. Il n’en résulterait donc pas nécessairement de gain de pouvoir d’achat totaux pour le consommateur.
Les soldes, un cas spécifique de vente à perte
La vente à perte est autorisée pendant la période spécifique des soldes. Il s’agit, notamment dans le secteur du textile, de permettre aux commerçants d’épuiser les stocks de leur saison précédente (été ou hiver) afin de mettre en rayon les articles de la prochaine saison. Ce fonctionnement semble cohérent dans le cas du textile, puisque les achats sont fortement liés à la saisonnalité et au goût du moment, ce qui implique de se débarrasser, en le bradant, du stock invendu. La situation est différente dans le cas des carburants puisque ceux-ci se vendent indistinctement toute l’année et ne sont pas sujets aux effets de mode.
3) Intensité concurrentielle : un risque accru de position dominante
Les plus petits acteurs de la distribution de carburant risquent d’être les plus pénalisés par la possibilité de vente à perte ce qui pourrait, si cette mesure venait à se prolonger, conduire à une concentration du marché et donc à une future hausse des prix. Si certains acteurs du marché, comme la grande distribution, s’engageaient dans une stratégie de vente à perte (qu’elle soit compensée ou non par des hausses de prix sur d’autres produits), les pompistes indépendants subiraient une concurrence violente. En effet, ne pouvant pas utiliser le carburant comme un produit d’appel, il leur serait impossible de vendre à perte.
L’interdiction de la vente à perte est d’ailleurs conçue comme un moyen de défendre les plus petits acteurs du marché face à de plus grandes entreprises qui seraient en mesure de supporter des pertes momentanées afin d’évincer la concurrence. Si l’autorisation de vendre à perte venait à se prolonger et se traduisait par la disparition de certains pompistes, il en résulterait une diminution de la concurrence sur le marché de la distribution des carburants et donc, à terme, une probable hausse des prix.
4) Soutien au pouvoir d’achat : Des aides ciblées sont préférables à une baisse globale des prix
Face à la hausse du prix des carburants, des aides ciblées sont la politique plus adaptée. La baisse des taxes sur les carburants ou l’instauration d’une remise (comme en 2022) seraient des stratégies peu efficaces au vu de leur coût pour les finances publiques. Des aides spécifiques envers les publics les plus pénalisés (chèque énergie à destination des classes populaires ou moyennes de zones rurales par exemple) semblent être préférables.
– Une baisse des prix globale des carburants profite davantage aux ménages aisés. Les 10 % des ménages les plus aisés dépensent environ deux fois plus en carburant que les 10 % des ménages les plus modestes. Ainsi, lorsque l’Etat utilise son budget pour faire baisser le prix des carburants (baisse de taxe ou ristourne générale), deux fois plus d’argent public bénéficie aux ménages aisés par rapport aux ménages modestes. Des aides ciblées permettent de ne soutenir que les ménages les plus impactés par la hausse des prix et se révèlent moins coûteuses pour les finances publiques.
– La baisse globale des prix des carburants serait écologiquement nuisible. La hausse du prix des carburants est une incitation à diminuer leur consommation (utilisation de moyens de transport alternatifs ou achat de véhicules moins gourmands ou électriques). À l’inverse, une baisse des prix subventionnée par l’Etat serait contraire aux objectifs de la transition écologique. Une aide aux ménages modestes pour qui la voiture est indispensable (comme un chèque carburant) permettrait de soutenir leur pouvoir d’achat tout en conservant les incitations liées à la variation du prix : chaque ménage resterait incité à utiliser des moyens de transport alternatifs lorsque c’est possible ou à préférer des véhicules moins gourmands.
1 Les Echos, «Essence, diesel : ce qui entretient la flambée des prix à la pompe», 15 septembre 2023
2 Estimation Asterès d’après Esane pour le code NAF 473 «Commerce de détail de carburants en magasins spécialisés», en se basant sur la marge (résultat / chiffre d’affaires).