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MARSEILLE : Banque de France – Percée historique du…

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MARSEILLE : Banque de France – Percée historique du livret d’épargne populaire

La Banque de France publie le neuvième article du Bulletin n°248 de septembre-octobre 2023 intitulé « La percée historique du livret d’épargne populaire ». 

En résumé :

Lors de la révision des taux des livrets d’épargne réglementée en juillet 2023, le ministre de l’Économie et des Finances a retenu deux mesures en faveur du livret d’épargne populaire (LEP), proposées par le gouverneur de la Banque de France : un taux à 6 % pour les six prochains mois, au lieu des 5,6 % de la formule de calcul, et le relèvement de son plafond de 7 700 à 10 000 euros. Ce livret, dont le rendement est entièrement protégé de l’inflation, connaît un véritable succès, avec une collecte cumulée de 11 milliards d’euros entre août 2022 et août 2023. Alors que la barre des 10 millions de LEP a été franchie en août 2023, l’objectif affiché est d’atteindre au moins 12,5 millions de comptes à l’été 2024. Étudier le profil des détenteurs du LEP fait ressortir des marges de progression au sein de la population éligible.

En juillet 2023, le livret d’épargne populaire (LEP) a bénéficié de deux gestes marquants : une rémunération maintenue à 6%, au rebours du taux à 5,6% issu de la formule 1, et un plafond de dépôt relevé de 7700 euros à 10000 euros. Ces deux mesures, couplées à une mobilisation renforcée des banques, devraient stimuler le taux de détention du LEP, avec pour objectif d’atteindre au moins
12,5 millions de LEP d’ici l’été 2024, soit plus des deux tiers des 18,6 millions de personnes éligibles 2.
Ce livret, créé en 1982 dans un contexte de forte inflation et de perte du pouvoir d’achat, a été jusqu’à présent peu étudié comme outil au service de l’épargne populaire, le livret A restant le produit phare des Français.
Or, dès l’origine, la mise en place de ce produit s’est heurtée à la question de la capacité d’épargne au sein de ces ménages aux revenus d’activité modestes. Dans le contexte actuel de lutte contre l’inflation et d’inquiétude des ménages sur le maintien de leur pouvoir d’achat, revenir sur les origines de ce livret, son évolution et ses détenteurs permet d’éclairer davantage la notion d’épargne populaire, fondement du modèle français de l’épargne réglementée 3.

La protection de l’épargne populaire

Le LEP est adopté le 27 avril 1982 avec pour objectif « d’aider les personnes aux revenus les plus modestes à placer leurs économies dans des conditions qui en maintiennent le pouvoir d’achat » (art. 1). La genèse de ce livret s’inscrit d’une part dans une longue tradition sociale (cf. encadré 1), mais répond aussi à une interrogation plus large face à l’érosion progressive de l’épargne dans un contexte fortement inflationniste. En effet, alors qu’en 1975 le taux d’épargne des ménages s’établissait encore à 19%, il passe à 15,9% en 1979, puis à 14,6% en 1980 (Sénat, 1982). La mise
en place d’un complément de rémunération en plus du taux de rémunération fixé sur celui du livret A, vise ainsi à protéger le pouvoir d’achat des dépôts (cf. encadré 2).

Cet objectif se retrouve encore aujourd’hui : «Le compte sur livret d’épargne populaire est destiné à aider les personnes disposant des revenus les plus modestes à placer leurs économies dans des conditions qui en maintiennent le pouvoir d’achat» (art. L221-13 du Code monétaire et financier).

L’éligibilité est au départ déterminée par le montant d’impôt payé, qui doit être nul ou inférieur à un plafond révisé chaque année. Depuis janvier 2014, les critères d’éligibilité au LEP sont modifiés et calculés par rapport à un plafond de revenus (cf. annexe 2). Le LEP est, par ailleurs, soumis à un plafond de dépôts.  Celui-ci n’avait pas évolué depuis le 1er janvier 2002, contrairement à ceux des autres livrets. L’écart de plafond s’était donc creusé depuis les années 2000 (cf. graphique 1).

G1 Évolution des plafonds réglementaires des différents livrets réglementés

Le succès du LEP depuis 2022

Le niveau très bas des taux d’intérêt comme de l’inflation avait contribué au relatif déclin de l’encours de ce support d’épargne depuis le milieu des années 2000. En 2020, année exceptionnelle de forte hausse de l’épargne financière des Français, le LEP avait, pour la première fois depuis 2007, affiché une collecte positive (de 900 millions d’euros 4). Cela marquait l’amorce de la stabilisation de son encours, encore pénalisé cette année-là par la fermeture de plus de 1 million de livrets.
Depuis 2021, plusieurs actions ont été menées pour la promotion du LEP. La loi Asap 5 a permis la simplification de ses conditions d’ouverture et de contrôle d’éligibilité.
Les banques et la Direction générale des Finances publiques ont désormais la possibilité d’échanger directement des informations, et les principaux établissements bancaires peuvent i) informer les ménages de leur éligibilité au LEP, et ii) contrôler le respect de cette éligibilité chaque année, sans avoir besoin de leur avis d’imposition sur le revenu.
En complément de cette simplification de procédure, l’administration fiscale a contacté les contribuables éligibles au LEP lors de la révision du taux qui a porté sa rémunération de 1% à 2,2% au 1er février 2022. Cette hausse a été suivie de deux autres relèvements de taux, le 1er août 2022 à 4,6%, et le 1er février 2023 à 6,1%.
Lors de la dernière révision semestrielle de la rémunération des livrets d’épargne réglementés en juillet 2023, le taux du LEP est resté quasi inchangé à 6%, alors que l’application stricte de la formule aurait conduit à un résultat de 5,6%. Ce geste, accompagné de l’annonce du relèvement de son plafond, visait clairement à promouvoir ce produit d’épargne.
La communication numérique des grands réseaux bancaires s’améliore aussi progressivement, même si des efforts peuvent encore être poursuivis, le livret A étant en général plus valorisé et plus visible que le LEP.
Tout cela a eu pour conséquence un très fort regain d’intérêt pour ce support d’épargne, et l’encours du LEP a atteint 58 milliards d’euros à fin août 2023, en hausse de 52% par rapport à décembre 2021, alors que le nombre de LEP franchissait la barre des 10 millions (cf. graphique 2).
Le dynamisme des ouvertures depuis début 2022 se constate en particulier au moment des relèvements de taux : après 2,1 millions d’ouvertures au total sur 2022, le même niveau est déjà atteint dès juillet 2023, pour un nombre de fermetures stable 6 (cf. graphique 3).

L’encours global du LEP est mieux réparti sur l’ensemble des détenteurs que celui des autres livrets réglementés :

en 2022, pour le LEP, 53% des détenteurs détiennent 29% de l’encours, contre respectivement 60% des détenteurs et 4% de l’encours pour le livret A (cf. graphique 4).
Par ailleurs, le solde moyen s’élevait à 5 700 euros fin 2022, niveau relativement proche de son plafond, surtout si on le compare avec celui du livret A (6350 euros de solde moyen pour un plafond de 22950 euros).

Toujours en 2022, près de la moitié des LEP (47%) avaient atteint ou dépassé leur plafond 7 et représentaient 71% du total des encours. Cette proportion est bien supérieure à celle du livret A (10%), dont le plafond est, il est vrai, sensiblement plus élevé. Cela peut s’analyser comme une réaction plus forte des détenteurs de LEP au signal-prix envoyé par la hausse des taux de rémunération, conduisant à une utilisation extensive de ce support d’épargne.
L’évolution des comptes inactifs depuis au moins 5 ans montre aussi une utilisation plus dynamique du LEP. Alors qu’en 2016 (début de collecte de cette statistique) la proportion de comptes inactifs pour les LEP et les livrets A était équivalente – autour de 10% –, l’inactivité sur le LEP ne représente plus que 5% en 2022, contre 9% pour le livret A.
Selon la Direction générale des Finances publiques, 18,6 millions de Français majeurs sont éligibles au LEP (35% de la population majeure française). Le taux de détention du LEP approche donc aujourd’hui 54% de la population éligible, à comparer aux 81% pour le livret A, ouvert sans condition d’âge ni de ressources.
Quelles sont les marges de progression du nombre de détenteurs au vu de la contrainte de revenu qui conditionne leur capacité à épargner (cf. encadré 3)? Deux enseignements peuvent être tirés de l’observation des évolutions de la détention de LEP au sein de la population en situation de fragilité financière – qui représente environ 22% de la population éligible : d’une part, la capacité d’épargne existante de cette population, quoique limitée, peut être encouragée par des politiques volontaristes de rémunération; d’autre part, la marge de progression ne peut qu’être assez faible en raison de la difficulté à dégager des revenus suffisants (Banque de France, 2023 8).
On peut supposer dès lors que pour les catégories se situant au-dessus du premier décile, l’orientation vers le LEP stimulera leur capacité d’épargne.

2 Qui sont les détenteurs de LEP ?

Pour analyser plus finement qui sont les particuliers éligibles au LEP et qui n’en détiennent pas, il faut disposer d’éléments précis sur les caractéristiques sociodémographiques des détenteurs actuels.
Taux du détention du LEP par niveau de revenus Le LEP étant destiné aux ménages en dessous d’un certain plafond de revenus 9, il est logique de constater que les troisième et quatrième déciles de revenus ont les taux de détention du LEP les plus élevés (cf. tableau 1). C’est aussi sur ces deux déciles qu’on trouve le plus de ménages ayant un LEP au plafond (plus d’un tiers pour le 3e décile).
La relative faible détention du premier décile peut s’expliquer par une moindre capacité d’épargne. Quant aux derniers déciles, le pourcentage de détention peut s’expliquer à la fois par le calcul des parts fiscales, qui accorde une part entière à partir du troisième enfant, par la structure par âge des détenteurs du LEP (cf. infra), ainsi que par des retards dans la radiation de personnes qui
ne sont plus éligibles.
La détention de LEP est soumise à un plafond de revenus, mais non de patrimoine. Alors que le patrimoine financier moyen d’un ménage est de 70000 euros en 2020, il est – logiquement – plus faible chez les détenteurs de LEP (environ 54000 euros), tout en s’élevant à près de 88000 euros pour les ménages ayant au moins un LEP au plafond, ce qui est cohérent avec la surreprésentation
des retraités parmi les détenteurs de LEP (cf. infra).

Le profil socio-démographique des détenteurs de LEP

Analyse par sexe et par tranche d’âge

Les femmes sont nettement plus nombreuses que les hommes à détenir un LEP (cf. graphique 5a). Cela peut s’expliquer par des raisons économiques, car les femmes sont surreprésentées dans la catégorie des personnes modestes (DREES, 2020). Elles sont aussi un peu plus nombreuses parmi les détenteurs dont le livret est au-delà du plafond. Ce constat tranche avec un revenu économique qui serait moindre que les hommes, mais il n’est pas possible en l’état d’en tirer des conclusions sur un comportement genré spécifique qui serait lié, par exemple, à une plus forte aversion pour le risque, davantage de sensibilité aux campagnes de promotion, ou encore une propension à épargner plus élevée 10.
La répartition des détenteurs de LEP par tranche d’âge montre, quant à elle, une surreprésentation des personnes de plus de 65 ans par rapport à leur poids dans la population majeure (39 % pour un poids de 26 %) (cf. graphique 5b). Ils forment aussi presque la moitié des détenteurs de LEP au-dessus du plafond. À l’inverse, les majeurs de moins de 25 ans représentent moins de 2,5%
des détenteurs et seulement 1% des LEP plafonnés, alors qu’ils comptent pour 10% de la population. Le poids important des seniors est cohérent avec leur part dans l’épargne financière totale, qui ressort à presque 44% (Insee, enquête Histoire de Vie et Patrimoine, 2020-2021).
Elle peut aussi s’expliquer en partie par le fait que la retraite coïncide avec une baisse des revenus – augmentation de la population éligible au LEP – éventuellement partiellement compensée par le patrimoine accumulé pendant la vie active (hypothèse du cycle de vie). Enfin, la propension moyenne à consommer est traditionnellement plus faible pour les seniors (Herpin et Michel, 2012).
Analyse par catégorie socioprofessionnelle et par région Les taux de détention du LEP varient selon les catégories socioprofessionnelles (CSP). Sachant qu’en 2020 il était de 11,5% pour l’ensemble de la population éligible, il est nettement plus élevé pour les agriculteurs (23,3% d’entre eux ont un LEP) et les retraités (16,8%). Les employés (12,4%), les ouvriers (10,5%) et les professions
intermédiaires (10,5%) ont un taux de détention proche de la moyenne (cf. graphique 6 infra). Ce taux de détention paraît faible relativement aux agriculteurs. Ce contraste peut indiquer, d’une part, une marge de progression du LEP dans les catégories ouvrières et intermédiaires, a priori cibles principales de ce livret, et, d’autre part, une meilleure insertion des agriculteurs dans les réseaux bancaires. À l’inverse, les taux de détention sont plus faibles chez les cadres (4,4%), les personnes sans activité professionnelle (6,6%) et les artisans, commerçants et chefs d’entreprises (7,9%), ce qui s’explique avant tout par leur faible éligibilité.

La répartition géographique des détenteurs de LEP montre de fortes disparités

Par rapport à son poids dans la population, l’Île-de-France compte peu de détenteurs. À l’inverse, l’Auvergne-Rhône-Alpes, la Bretagne et l’Occitanie sont les régions qui concentrent le plus de détenteurs de LEP (cf. tableau 2).

Avec un taux de rémunération qui se démarque désormais significativement de celui du livret A, le livret d’épargne populaire (LEP) devrait continuer à attirer des épargnants. Il souffre sans doute encore d’un déficit de notoriété par rapport à son grand frère le livret A, ancré depuis plus de 200 ans dans le paysage de l’épargne en France. Les résultats de l’enquête Histoire de vie et Patrimoine (cf. annexe 3) montrent d’ailleurs que certains ménages des premiers déciles, et donc probablement éligibles, détiennent un livret A, laissant supposer, malgré des revenus modestes, une capacité d’épargne bien existante.
Dès lors, le relèvement du plafond du LEP devrait conduire à une augmentation des encours : parmi les presque 50% de détenteurs qui étaient au plafond avant son relèvement, certains ont un livret A et feront l’arbitrage, d’autres pourront mobiliser une épargne supplémentaire. La poursuite des efforts d’information et de promotion de ce produit devrait, de son côté, inciter à de nouvelles ouvertures.
Même s’il y a nécessairement une limite au potentiel de diffusion de ce livret qui tient à la moindre capacité d’épargne des ménages les plus modestes, notre analyse laisse à penser qu’une communication ciblée pourrait augmenter le taux de détention de certaines catégories socio-démographiques, en particulier des plus jeunes.
Le rendement attractif du LEP devrait être une vraie motivation pour amener les étudiants éligibles 11 ou les jeunes actifs à se constituer une épargne de précaution.

A NOTER…

1 La Banque de France est chargée d’effectuer deux fois par an le calcul des taux de rémunération des livrets d’épargne réglementée. La formule du taux du LEP
correspond au maximum entre la moyenne de l’inflation des six derniers mois et le taux du livret A majoré de 0,5 point (cf. encadré 2).

2 Les caractéristiques des principaux livrets d’épargne réglementée sont détaillées à l’annexe 1.

3 Sur le modèle de l’épargne réglementée, cf. Banque de France (2022), L’épargne réglementée – Rapport annuel 2021

4 11,9 milliards d’euros de versements, contre 11,0 milliards d’euros de retraits.

5 Article 114 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique

6 Les statistiques d’ouvertures et de fermetures de livrets, de flux et d’encours sont publiées annuellement dans le rapport annuel sur l’épargne réglementée rédigé par
la Banque de France

7 Plafond de 7700 euros.

8 L’épargne réglementée – Rapport annuel 2022

9 Cf. annexe 2

10 Sur les écarts de patrimoine et les comportements différenciés des hommes et des femmes en matière d’épargne, on pourra se reporter à Bonnet et al. (2014)

11 Étudiants détachés du foyer fiscal de leurs parents et dont le revenu fiscal de référence ne dépasse pas le plafond prévu par la réglementation.