
PARIS : « Rendez-vous au SIA ! »
Un édito qui commence en fanfare pour vous annoncer la tenue de la première table ronde organisée par Agriculture Stratégies !
Cet évènement de qualité se tiendra au Salon International de l’Agriculture le lundi 24 février à 16h30 sur le stand de la Coopération Agricole et nous y parlerons du partage de la valeur. Au-delà des rapports de force qu’Egalim vise à renforcer lors de ces évolutions, comment répartir équitablement et de façon constructive la valeur créée par chacun des maillons ?
Pour traiter cette question, Florence PRADIER, Directrice générale de La Coopération Agricole introduira notre table ronde composée de nos adhérents : Pol DEVILLERS– Vice-président des Jeunes Agriculteurs, Vincent BAGES– Directeur général laiteries Triballat-Rians, Luc VERGEZ-PASCAL – Responsable des affaires publiques Lidl France, Olivier DAUVERS, ainsi que de Stéphane TRAVERT– ancien ministre de l’Agriculture, Député de la Manche, et d’Alessandra KIRSCH, Directrice générale d’Agriculture Stratégies, qui en assurera l’animation.
Depuis notre dernier édito qui portait sur les accords de libre-échange, nous avons eu à cœur d’analyser les flux de produits laitiers, de viande bovine ou de volaille qui transitent en France pour comprendre pourquoi la France dépend davantage que ses voisins européens des importations pour nourrir sa population, et comprendre le déclin des filières concernées. Pour certains acteurs, la réponse est simple : il suffirait de cesser d’exporter pour se concentrer sur le marché intérieur et retrouver notre souveraineté alimentaire. Mais dans cet article, nous commençons par expliquer un premier point essentiel : les marchés export sont nécessaires à l’équilibre économique des filières. Tous les produits issus d’un animal ne se valent pas et ne sont pas plébiscités de la même manière par le consommateur français. Le recours à l’export est un levier qui permet soit de trouver des meilleures valorisations pour des produits à la qualité reconnue (cas du lait), soit d’évacuer des produits que nous apprécions moins (cas du poulet et de la viande bovine, valable également en porcin). Ce premier point traité, nous avons ensuite analysé les circuits de distribution qui favorisent les importations, et ils sont différents selon les filières.
Enfin, nous avons observé que pour chacune des filières étudiées, les importations proviennent à 90% ou plus des pays de l’UE 27, ce qui implique de s’interroger franchement sur les raisons de notre déficit de compétitivité à la française. Mais il faut également considérer dans cette réflexion les règles en matière d’origine sont au final très floues : un opérateur n’a pas toujours connaissance de l’origine de son produit et celui-ci peut avoir changé d’origine après une étape de transformation. Dans les chiffres des Douanes, un produit issu d’un animal élevé dans un pays tiers et transformé dans un Etat-Membre peut être considéré comme origine UE. Il est donc possible que l’approvisionnement français repose davantage sur les pays tiers que ce qu’indiquent les statistiques, qui restent déclaratives.
Nous avons également regardé un peu en arrière pour comprendre et expliquer pourquoi 2024 est une annus horribilis pour les agriculteurs, dans des proportions variées selon les secteurs, qui a de quoi continuer à alimenter un ras le bol agricole. La dégradation du revenu qu’on a pu observer en 2023 (par rapport à 2022 qui était une année exceptionnellement bonne) a été violente, et elle s’est poursuivie. En résumé, l’année 2024 peut être vue comme emblématique des défis à relever pour le monde agricole : elle cumule les effets du changements climatique (excès d’eau ou excès de chaleur et de sec dans la durée), risques sanitaires (pression des maladies végétales et animales), et volatilité des marchés. Il ne s’agit plus de s’adapter au changement, mais de résister dans un environnement climatique et économique de plus en plus imprévisible.
A ces soubresauts climatiques, économiques, sanitaires, s’ajoute également ceux des orientations politiques. En plus des questionnements liés à l’application de la version actuelle de la PAC et du design qui sera adopté pour la prochaine, des décisions stratégiques non spécifiques au domaine agricole vont également avoir des impacts sur le coût de production. C’est le cas du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, un outil qui taxera les importations en fonction des émissions carbonées pour différents secteurs, dont celui des engrais. Il entrera en vigueur en 2026, et son impact sera fonction du prix du quota carbone sur le marché européen. Les quotas se raréfiant au fil des années avec l’abaissement du plafond autorisé, leur prix est appelé à augmenter jusqu’en 2034, année de disparition des quotas gratuits… et les taxes avec donc, qui seront répercutées à l’utilisateur final, l’objectif assumé par les pouvoir publics étant de faire décarboner la production ou en payer le prix.
On pourrait adhérer à l’idée :
1) Si l’augmentation du prix des engrais était compensée par une augmentation du prix des produits agricoles. Mais…
– A l’heure actuelle il n’existe que peu de débouchés pour une production agricole décarbonée. Quelques filières alimentaires se lancent, mais si on prend l’exemple du blé, le débouché alimentaire c’est 10% du volume national (le reste se réparti entre export, amidonnerie et alimentation animale). Il n’y a pas de cotation au MATIF pour du blé décarboné, c’est le cadet des soucis de nos acheteurs qui n’ont que des exigences de qualité sanitaires ou de poids spécifique, de taux de protéines, etc.
– Les crédits carbone que peut générer l’agriculture sont achetés sur un marché volontaire, aucunement lié à celui des quotas. Ce n’est pas parce que le prix des quotas carbone augmente sur le marché règlementé que celui des crédit carbone bouge. Les crédits carbone ne permettent pas de remplir d’obligation.
2) Si cette perturbation organisée du marché des engrais permettait d’aboutir à une réduction significative des émissions de GES. Mais…
– le système porte sur le processus de fabrication des engrais, qui ne représente que 40% de l’empreinte carbone liée à leur utilisation.
– l’augmentation du prix des engrais liée à la décarbonation risque d’inciter les agri à utiliser les engrais les moins chers, comme l’urée, qui est aussi le moins efficient pour la croissance de la plante et le plus polluant.
Dans ce cas, ce serait un retour en arrière (alors que l’utilisation d’engrais azoté en France a baissé de 20% pour la France entre 2020-2023 et 2010-2013), illustrant un vieil adage : « le mieux est l’ennemi du bien ».
Alessandra Kirsch, Directrice générale d’Agriculture Stratégies
SOURCE : Agriculture Stratégies – Newsletter n°63.