
PARIS : Pourquoi donner
L’importance de ce qui est implicite est généralement négligé : ainsi en est-il du don, et de la place qu’il prend dans les structures sociales.
Un esprit idéaliste voudrait voir dans le geste du don une gratuité absolue qui se révèle vite très illusoire, un esprit pessimiste n’y verrait que la face émergée d’un intérêt dissimulé, un esprit comptable n’y percevrait que la manifestation de la persistance des inégalités entre riches et pauvres. À rebours d’une vision strictement utilitariste des échanges humains, l’analyse du don permet de déceler la part de gratuité et de liberté qui peut demeurer dans « ce qui circule entre nous », selon l’expression de Jacques T. Godbout. La confiance, la création d’une attente et d’une forme d’émulation, sont les présupposés du don dans les échanges économiques, relationnels, et politiques : les différentes formes qu’ils prennent selon les sociétés nous en montrent la dimension implicitement structurante, et nous invitent à chercher et questionner son équivalence pour la nôtre. De l’évergétisme grec à la philanthropie moderne, en passant par la charité médiévale, des cadres de l’entreprise à ceux de l’action publique, des relations sociales aux relations familiales, des échanges matériels à leurs équivalents spirituels dans les différentes religions, le don est un répertoire d’action qui est autant un luxe pour les plus riches qu’une « vertu humaine de base ». Il repose sur un esprit de prodigalité et de libéralité qui n’est pas nécessairement proportionnel à la richesse réelle, mais met en évidence le poids des choses et des hommes, et des liens qui les unissent, au-delà de leur valeur monétaire. Il peut alors devenir un moyen de contester la logique d’équivalence marchande qui, des domaines économiques, tend à s’étendre à toutes les sphères des relations humaines.
Claire-Marie Morinière, Élève à l’ENS d’Ulm en philosophie, et étudiante en master de théorie politique à l’école de la recherche de Sciences-Po Paris. Claude Birman, Professeur honoraire de chaire supérieure de philosophie en classes préparatoires, et de pensée politique et biblique à l’IEP de Paris. Wakil Belhaddad, Ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de philosophie, doctorant en histoire de la philosophie (ENS Lyon/UCLouvain).
SOURCE : Fondation pour l’innovation politique – La Newsletter du 15 janvier 2025.