PARIS : Pascale ROBERT DIARD, Prix Christophe de Ponfilly…
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PARIS : Pascale ROBERT DIARD, Prix Christophe de Ponfilly 2024
On dit d’elle qu’elle est « très Monde ».
Là, au quotidien du soir, on l’appelle PRD.
Pascale Robert-Diard est de ces rares journalistes qui n’ont jamais connu qu’une maison, lui ont tout donné, continuent de ne vouloir être nulle part ailleurs. Chroniqueuse judiciaire, ses papiers se lisent comme le roman de la France d’aujourd’hui, des hommes en cachemire qui grandissent dans les quartiers dorés à la jeunesse des campagnes qui vote Rassemblement National, de ceux qui volent des millions d’un simple clic à ceux qui lestent des valises pour noyer leurs cadavres. Elle vit son métier tel un voyage à travers la France, des plus belles salles du Palais aux atmosphères froissées d’ennui des tribunaux de la banlieue parisienne, des grands procès médiatiques auxquels les curieux se pressent comme au spectacle aux dizaines d’autres qui déroulent chaque jour, face aux bancs vides, l’ordinaire de l’humanité. Un voyage où le passé qui s’échappe éclaire le présent.
La vérité des êtres
Pascale Robert-Diard est entrée dans la chronique judiciaire comme on entre dans les ordres. Une vocation. Arrivée stagiaire au Monde en 1986, elle profite quelques mois plus tard de la désertion de journalistes au procès de Klaus Barbie, le boucher de Lyon refusant de paraître devant les juges, pour trouver sa place sur les bancs aux côtés de son collègue, le maître de la chronique judiciaire, le prix Albert-Londres, Jean-Marc Théolleyre. Elle lui a dédié son chef d’oeuvre La déposition, l’autre histoire de l’affaire Agnès Le Roux, du nom de l’héritière du palais de la Méditerranée disparue en 1977 et dont le corps ne fut jamais retrouvé. Pascale Robert-Diard a su y mettre en lumière la relation entre l’accusé principal Maurice Agnelet et son fils Guillaume, clé de l’ultime rebondissement d’une bataille judiciaire de plus de 30 ans. De Théollèyre, elle a appris la nécessité du mot juste. De ses papiers, elle a vu naître un monde, celui de la loterie de la justice humaine, celui où aux prénoms des prévenus, on devine trop souvent la manière dont ils vont s’exprimer. Dans l’attente de reprendre le flambeau, la plume de Pascale Robert-Diard a raconté la politique, ses personnages, ses codes, ses coulisses, ses coups bas. Là, elle a pris conscience de la langue du pouvoir, une langue uniforme qui impose et s’impose. Plus tard, en entrant dans un tribunal, elle a entendu les fautes d’accord, les accents.
Le quotidien solitaire de Pascale Robert-Diard est la salle d’audience, ce théâtre où ceux qui n’ont jamais été écoutés sont invités à parler, peuvent dire et se dépasser. Là, assise seule, aux côtés de ses confrères ou au milieu des familles et de dizaines de spectateurs, elle tient son carnet où les mots tombent, ceux des accusés qui racontent l’inévitable lutte entre mensonge et vérité, ceux des parties civiles qui pleurent la douleur excessive, ceux des juges qui recherchent l’intime conviction. Elle restitue cette langue au plus près pour que la vérité des êtres, sa puissance et sa beauté franchissent les barrières érigées par le vécu, dépassent le cercle judiciaire pour parvenir jusqu’à la conscience du lecteur. Elle, qui regrette cette époque où, à coups de stories instagram, tout un chacun livre une intimité mise en scène, ne se lasse pas de celle dévoilée dans les procès. Une plongée dans les ombres des êtres, qui révèle l’indicible et reste sourde à nos constructions bien pensées, bien pensantes.
Des mots et des gestes
Il y a les mots des riches, ciselés, travaillés, pensés qui renvoient à leurs univers secrets, feutrés, fermés. Et il y a les mots des pauvres, les pauvres mots des pauvres gens, ceux qui ne sortent pas, ceux qui disent mal, qui trébuchent et vacillent. Les pauvres dont Pascale Robert-Diard sait qu’au fond, ce sont eux que la société juge vraiment, eux dont les journalistes piétinent parfois la vie. Eux dont la justice ordinaire et extraordinaire nous donne à voir la vie qui se débat, la vie qui s’épuise, la vie qui bascule. Dans ses chroniques, il y a cette vie qui souffle et avec laquelle on juge, des lignes et des lignes de dialogues, d’hésitations qui font sentir l’incompréhension, la domination, parfois le mépris de la langue judiciaire vis-à-vis de ceux qui ne la maîtrisent pas. Il y a les mots qu’elle retient et il y a les gestes qu’elle saisit, son regard accroché aux corps qui se lisent et trahissent. Une main qui retient la barre, des yeux qui se perdent dans le vide, un dos qui se voûte, un torse qui plastronne, un sourire qui toise, les yeux qui affrontent, jugent, se dérobent, s’évitent, s’embrasent, embrassent.
La justice a ses codes, ses techniques, ses rapports de force. Un cérémonial que Pascale Robert-Diard connaît finement, parfaitement. Dans cet univers réglé, réglementé, ritualisé, elle a conscience d’être au balcon du crime, de vivre le frisson par procuration et ne cesse de s’interroger sur cette place, sa place qui la voit écouter, regarder, scruter en surplomb la violence. Son intelligence à traduire la vérité des prétoires, leurs artifices et leurs parties d’échecs, sa plume précise et tranchante qui n’oublie jamais les détails et les nuances suscitent l’admiration de tous, lecteurs, journalistes, avocats et magistrats. D’elle, ces derniers redoutent le regard critique sur leur exercice du pouvoir dans un univers où la sanction disciplinaire reste rare.
Démêler le vrai et le faux
Elle a fait siennes deux leçons des procès qu’elle a couverts : il faut toujours chercher à comprendre et comprendre que tout ne s‘explique pas. Elle cite aussi Simenon pour qui il faudrait comprendre et ne pas juger. Il y a eu les procès emblématiques, les politico-financiers, ELF, Clearstream, Bygmalion, le Carlton et France Télécom en correctionnelle, ceux d’assises, l’appel d’Outreau, Zyed et Bouna, l’attentat contre Charlie Hebdo, le 13 novembre…. Et tous les autres. Un chômeur serial killer de DRH, un couple surendetté qui tue un de ses enfants, un policier assassiné par la mafia, une influenceuse jugée pour apologie du terrorisme, la folie meurtrière de celui qui croit un trésor imaginaire volé… Des dizaines d’histoires qui disent, elles aussi, la France. Et il y a la première, celle d’une mère infanticide, une jeune femme arrivée d’Algérie à 20 ans, tombée enceinte d’un homme qui l’abandonne. Vingt ans plus tard, les larmes glissent dans les yeux, la mémoire tenace retrouve les mots venus heurter la barre qui séparait le juge et le père de la jeune femme, les mains agrippées à sa honte tandis qu’il roulait nerveusement son bonnet :
– Etes-vous son père ?
– Avant oui, maintenant non.
Un doigt d’honneur de trop un matin fâché, une femme étranglée parce qu’elle voulait aimer, une prostituée qui veut reprendre sa liberté, crimes utilitaires ou passionnels, Pascale Robert-Diard lit dans chaque procès d’assises une histoire de détresse. Deux détresses face à face, celle des accusés, celle des parties civiles, que l’audience peut amener à se regarder et s’écouter à défaut de s’entendre, s’entendre à défaut de se comprendre. Elle ne cesse de questionner le mensonge, d’interroger ses mécaniques, se dit bouleversée par le petit mensonge utilitaire initial. Celui qui est à l’origine de son unique roman La petite menteuse, forme littéraire qu’elle s’est imposée pour raconter ce qu’elle ne pouvait dire autrement.
Pour elle, une justice bien rendue doit apaiser. Aussi, elle ne peut réfréner ce goût âpre qui mêle tristesse et colère lorsque, impuissante, elle assiste à ces procès pressés, où les juges refusent de se laisser surprendre, de penser contre eux-mêmes et contre l’air du temps, où leurs conclusions faites de la lecture du dossier d’instruction ont déjà tout emporté, empêchant le silence de s’installer. Ce silence dont elle dit qu’il est le vrai grand maître de l’audience avec ses épaisseurs qui disent l’insondable.
Pascale Robert-Diard a longtemps pensé que lorsqu’elle se saisissait de son carnet pour une nouvelle audience, elle partait voir la vérité. Elle sait désormais que c’est sa reconstruction qu’(elle) regarde.
Jennifer Deschamps est journaliste, réalisatrice et productrice. En 2005, elle signe Dieu est mort au Rwanda puis se spécialise dans le journalisme d’investigation. En 2018, elle produit et réalise Inside Lehman Brothers (Arte, Étoile de la Scam 2019, sélections Doc NYC 2018 et HotDocs 2019). En 2020, elle produit La Démocratie du dollar (Arte). En 2023, elle signe pour Arte la série documentaire Les poisons de Poutine (sélection HotDocs 2023) puis travaille comme productrice artistique sur la série Outreau, un cauchemar français (Netflix, 2024).
La Scam affirme la place singulière des auteurs et des autrices dans la société. Astérisque en est le porte-voix.
SOURCE : La lettre Astérisque de la Scam – Hiver 2024.