PARIS : « Ce que nous apprend la cuisine : à faire avec …
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PARIS : « Ce que nous apprend la cuisine : à faire avec les imprévus », Emmanuel PERRODIN
José Morales – Je ne sais pas pourquoi il y a si peu d’architectes investis en politique, peut-être parce qu’ils n’aiment pas perdre ?!
Or c’est le principe de la politique, il faut accepter de ne pas gagner parce que, sinon, on fait seulement de la politique pour ne pas perdre, ce qui crée du compromis et aboutit à des projets absurdes.
La difficulté du combat politique est de maintenir un engagement qui peut être déprimant quand on voit, par exemple, les élections européennes qui approchent et les pistes que prennent certains édiles. On est tous au départ, très motivés, prêts à hacker et à faire plein de choses, et après, il y a un retour sociétal, très influencé par les réseaux sociaux, qui rend les choses difficiles en termes de pratiques quotidiennes. Or, la politique c’est le projet commun : c’est comment on bâtit un projet sociétal avec les jeunes, avec les vieux, avec les classes moyennes… et celles & ceux qui ne pensent pas comme nous.
Nos générations dans les années 80 voulaient de l’ambition, du rêve. Aujourd’hui, il n’y a pas de désir de rêve, c’est un peu le portrait d’une jeunesse perdue : on n’a pas réussi à transformer nos rêves en projet sociétal.
Claire Andries – On parlait tout à l’heure d’accidents et d’échecs, Samuel Beckett disait « Essayer encore, rater, rater mieux », je vais passer la parole à Emmanuel sur ces questions d’accidents, d’échecs, de désir et de création.
Emmanuel Perrodin – Ces notions d’accident et d’échec sont pour moi indissociables de la création, par ailleurs, je suis cuisinier aujourd’hui parce que, a priori, j’ai échoué dans la voie qui était la mienne initialement ! D’échec en échec, j’ai fini par découvrir mon chemin qui est intrinsèquement lié à cette ville chaotique et pleine de désordre. Aujourd’hui, j’essaie de faire découvrir, par des grandes tablées, un peu du paysage qui ne se montre pas facilement, en libérant le regard aussi, parfois en lien avec des œuvres. Et je m’efforce de faire en sorte que nous puissions faire œuvre, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire notre travail, jour après jour. C’est ce que nous apprend la cuisine : à faire avec les imprévus.
Mathieu Rozières – Pour moi, la différence entre l’œuvre et le travail, c’est la question de l’égo, ce qui nous ramène à internet et aux réseaux sociaux où bientôt nous serons toutes & tous artistes, ce qui me terrifie ! Il faut aussi rappeler que l’on est confrontés au quotidien à des algorithmes qui nous isolent, alors pour moi, la ville est LA solution aux travers et aux maux de notre époque, parce que la ville crée la rencontre, elle crée les accidents ; ses équipements publics, culturels notamment, permettent de brasser des gens différents. La ville est l’antidote à l’archipélisation numérique de notre monde.
SOURCE : « Être dans la liberté́ du devenir », la revue de l’architecture euphorique 05