PARIS : Asterès analyse le programme économique de Kamala…
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PARIS : Asterès analyse le programme économique de Kamala Harris
Dans la présente note, Asterès analyse le programme économique de Kamala Harris.
Le programme économique de Kamala Harris, s’il ne comporte pas les absurdités de son rival républicain, manque de mesures fortes et audacieuses. Kamala Harris, vice-présidente depuis quatre
ans, peut mettre en avant le bilan économique globalement favorable du mandat de Joe Biden. Cependant, la hausse de l’inflation a pesé sur la popularité du président démocrate, c’est probablement pourquoi Kamala Harris centre son programme sur des mesures de soutien au pouvoir d’achat financées par l’endettement public, et par un prétendu contrôle des prix considérés comme abusifs, qui semble plus relever de la stratégie électorale que d’une stratégie économique concrète. Ainsi, le programme économique de la candidate démocrate, s’il ne comporte pas les dangers de celui de Donald Trump (guerre commerciale, perte d’indépendance de la Fed) ne semble pas en mesure de répondre aux points faibles structurels de l’économie américaine.
Philosophie générale : Dans la continuité des « Bidenomics »
Kamala Harris, vice-présidente depuis 4 ans, se place dans la continuité de la politique menée par Joe Biden, qui a été un succès mitigé. La forte croissance sous la présidence Biden est indéniable, mais elle a été obtenue au prix d’une stimulation budgétaire élevée. La politique de réindustrialisation est, à ce stade, un échec.
– Une croissance soutenue. La croissance américaine a été incontestablement soutenue depuis quatre ans.
Même en ajustant par l’évolution de la population (qui tend à croître plus vite aux Etats-Unis que dans les autres pays occidentaux), la croissance des Etats-Unis a été incontestablement vigoureuse et le chômage a été faible.
– Une croissance dopée à la dépense publique. La forte croissance américaine peut, en partie, s’expliquer par un soutien budgétaire élevé. Joe Biden (comme la plupart des présidents de ces dernières décennies) a clairement soutenu l’activité économique par des dépenses publiques élevées. Cela s’observe notamment en 2023, avec un fort creusement du déficit public alors même que l’économie était revenue au plein emploi après la crise sanitaire.
– La politique de réindustrialisation est un échec (pour l’instant). Joe Biden a mis en avant une politique de soutien massive à l’industrie américaine, via par exemple des crédits d’impôts, des aides à l’investissement ou des mesures protectionnistes (aide à l’achat d’une voiture électrique uniquement si elle est fabriquée aux Etats-Unis par exemple). Ces mesures, réunies notamment dans le Build Back Better Act (BBBA) et l’Inflation Reduction Act (IRA), mettent en jeu des montants supérieurs à 1 000 milliards de dollars sur 10 ans1. Il en a résulté une explosion des dépenses de construction d’usines qui pourrait laisser conclure à une réussite de cette politique. Cependant, la production manufacturière stagne, alors que la hausse des investissements a débuté il y a près de trois ans. Il est encore trop tôt pour conclure définitivement entre la réussite (les investissements prennent de longues années avant d’accroître réellement la production) ou l’échec (les aides généreuses ont conduit à financer des projets coûteux et inutiles) de cette politique mais, à ce stade, la réindustrialisation américaine n’est pas à l’œuvre.
Propositions de Kamala Harris : Un soutien au pouvoir d’achat
Le programme économique de Kamala Harris, qui ne comporte pas de mesures radicales, mise surtout sur un soutien au pouvoir d’achat, financé notamment par le déficit public. Ce programme
manque de mesures phares sur les points faibles structurels de l’économie américaine (infrastructures vieillissantes, difficultés de l’industrie, faiblesse du système de santé ou d’éducation par exemple). Les nouvelles mesures proposées se résument principalement, de manière assez électoraliste, à soutenir le pouvoir d’achat par la hausse du déficit public et à promettre un contrôle des prix difficilement applicable dans la pratique.
– Les principales propositions de Kamala Harris portent sur le soutien au pouvoir d’achat. Malgré une croissance dynamique, le pouvoir d’achat médian a souffert de la hausse de l’inflation. En 2023 le revenu réel des Américains n’avait pas tout à fait rattrapé son niveau de 2019, une évolution qui a pesé sur la popularité de Joe Biden. En conséquence, Kamala Harris propose des mesures de soutien aux ménages, comme une suppression des taxes sur les pourboires, des crédits d’impôts pour l’achat ou la construction d’une maison, ainsi que la baisse de nombreuses taxes sur les ménages (notamment ceux ayant des enfants)2. Il s’agit cependant de mesures de court terme financées par un creusement des déficits publics. Cette stratégie, qui peut être pertinente en temps de crise pour relancer la consommation des ménages, est moins pertinente en période de chômage faible et de croissance soutenue.
– Les hausses d’impôts sur les plus riches et les entreprises seraient limitées. Kamala Harris souhaite augmenter les impôts sur les plus riches et les grandes entreprises, une proposition récurrente chez les démocrates. Ces hausses d’impôts devraient cependant être limitées, car la candidate ne souhaite manifestement pas s’attirer une opposition trop farouche des plus fortunés. Par exemple, alors que Joe Biden proposait de taxer les plus-values des particuliers supérieures à 1 million de dollars par an à 39,6 %, Kamala Harris a réduit ce taux à 28,0 %3. A notre connaissance, la candidate n’a pas présenté de chiffrage budgétaire précis de son programme. Il semble cependant probable que, au vu des nombreuses baisses d’impôts et aides publiques destinées à la majorité des Américains comparées à des hausses d’impôts limitées sur les plus riches, son programme conduirait à un creusement du déficit public.
– La candidate démocrate veut s’attaquer aux prix dits « abusifs », sans vraiment préciser comment.
Aux Etats-Unis, comme en Europe, de nombreux prix de première nécessité (alimentation, énergie) ont fortement augmenté depuis 2022. Certaines entreprises ont été accusées de profiter de la situation pour augmenter excessivement leurs prix et arrondir leurs marges au détriment du consommateur. C’est pourquoi Kamala Harris propose d’interdire les augmentations de prix considérées comme abusives. La difficulté est qu’il est difficile de décréter quand un prix est « abusif » ou non puisque, en période d’inflation et de flambée du prix des matières premières, les coûts des entreprises augmentent et il est légitime qu’elles répercutent au moins une partie de cette hausse dans leurs prix de vente. Au vu de la très grande diversité de chaque produit (et donc de leur prix) selon leurs spécificités et leurs prix de vente, il est très difficile de savoir précisément quel serait le « juste » prix. Le risque est que, en bloquant les prix à un niveau trop bas, il en résulte des pénuries ou des effets de rattrapage, les entreprises récupérant la marge perdue sur les produits qui ne sont pas soumis à des contrôles. La solution la plus crédible serait d’accroître les contrôles et éventuellement les sanctions envers les monopoles ou les abus de position dominante de façon à favoriser une modération des prix via une concurrence accrue.
Sylvain BERSINGER, chef économiste chez Asterès.
1 https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/linflation-reduction-act-americain-une-loi-mal-nommee/
2 https://www.nytimes.com/2024/09/10/us/politics/kamala-harris-economy-prices.html
3 https://www.nytimes.com/2024/09/10/us/politics/kamala-harris-economy-prices.html