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CAVALAIRE SUR MER : Chaque année, le 25 septembre, la Nat…

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CAVALAIRE SUR MER : Chaque année, le 25 septembre, la Nation rend hommage aux Harkis

Journée nationale d’hommage aux harkis, mercredi 25 septembre.

Chaque année, le 25 septembre, la Nation rend hommage aux Harkis et aux autres membres des formations supplétives qui ont combattu aux côtés de l’armée française pendant la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962.

En 1954, tandis que des Algériens allaient rejoindre le front de libération national (FLN) afin de se battre pour l’indépendance de leur pays, d’autres faisaient le choix de la France et rejoignaient l’armée française. Ces derniers, pour la majorité des civils armés par la France, avaient pour missions d’assurer la sécurité de points stratégiques, de villages ou de zones parfois plus étendues mais aussi de participer à des opérations militaires aux côtés de l’armée française. La fin du conflit se traduisit, pour les pieds noirs comme pour les anciens supplétifs – ceux que l’on a pris l’habitude de désigner communément sous le nom de Harkis – par le déchirement, l’exil, ou encore l’horreur pour ceux restés au pays, jugés traîtres à leur pays.

Ce furent aussi des moments particulièrement douloureux pour toutes et celles et ceux qui durent fuir leur pays pour rejoindre la France, cette France qui ne sut pas les accueillir, encore moins les intégrer.

Ecoutons Djillali SAHLAOUI, harki de 1ère génération, ancien combattant et victime de guerre qui s’interrogeait, sur son statut dans ce pays pour lequel il s’était battu et qui n’avait pas su les accueillir dignement, sa famille et lui.

Son témoignage participe de notre mémoire collective. Il est une richesse pour nous tous.

Moi Djillali avec mes 81 ans, je n’ai rien oublié ma mémoire reste très vive et très douloureuse « sur cette tragédie de la guerre d’Algérie » et pour cause je revis ces traumatismes toutes les nuits avec des sueurs froides quand par chance j’arrive à dormir en prenant un, deux, trois somnifères. À 18 ans à peine, insouciant, beau et fort avec une rage de vivre, je suis enrôlé en tant que supplétif de l’armée française, engagé dans une Algérie en pleine tourmente et ébullition pour servir le drapeau tricolore dans le maquis durant 4 ans et demi et combattre le FLN. Dans les djebels Tazanount et Nador, lors d’un accrochage avec le FLN où j’y ai laissé des compagnons d’armes, je reçois une balle dans ma jambe gauche : une blessure physique qui ne se refermera jamais et une blessure morale béante encore ouverte que je n’oublierai jamais jusqu’à mon dernier souffle.

« Au cessez-le-feu » de mars 1962, mon capitaine me demande de choisir entre le suivre en France en me promettant un travail et logement et une grande reconnaissance de la France ou une mort atroce par des représailles du FLN envers moi, ma jeune épouse Mestoura 20 ans et notre fille Fatima d’à peine 1 an.

Je décide de fuir précipitamment l’Algérie le pays qui m’a vu naître, le pays de mes parents, de mes ancêtres, mes racines, mon village, ma terre, ma ferme, mes arbres, mes oliviers, mes figues, mon puits, ma maison, mes chèvres, mon âne, une jeunesse, des odeurs, des souvenirs heureux. Je suis un harki, un traitre de la nation, voilà comment je suis reconnu et considéré en France et en Algérie. Mon cœur saigne toujours avec une mémoire meurtrie, des traumatismes, une blessure physique qui me rappelle chaque jour cette cruelle tragédie.

En débarquant en France sur le port de Marseille en 1962, j’embrasse cette terre qui m’accueille et qui me sauve moi et ma famille d’une mort atroce mais je ne pense pas alors que j’allais mener une autre guerre plus longue, plus silencieuse, plus psychologique, plus sournoise, traumatisante pour ma survie et celle de ma famille. Nous étions considérés comme des « indigents », « des sauvages » parqués comme des animaux, dans des camps de fortune avec des baraques sans fenêtre, sans sanitaires, sans eau courante.

Nous y avons vécu en supportant la faim, la soif, le manque d’hygiène, l’isolement, la solitude, l’inquiétude de ne pas avoir de nouvelles de notre famille laissée en Algérie, le manque de repères, la violence au quotidien, les vols, les cris, les pleurs, l’angoisse, les insultes, sans entrevoir d’avenir. Sans repères, désorientés, sans aide, abandonnés, livrés à nous-même dans ce pays inconnu, ne comprenant que le vocabulaire de guerre, sans connaitre la langue, l’écriture, les us et coutumes nous vivions au jour le jour avec l’angoisse du lendemain.

Alors mon seul refuge devient l’alcool que j’ai découvert en France où je m’y noie pour oublier la guerre, la terreur, les armes, le sang, les morts, les amis, mes parents, mes frères, mes sœurs, une famille que j’ai dû abandonner, mes regrets, mon désespoir, ma culpabilité.

Tout cela me consume chaque jour à petit feu si bien que j’en deviens extrêmement violent. Je suis alcoolique et violent envers mon épouse et moi-même ; je suis malade et sans remède pour me guérir. Aucun accompagnement psychologique pour trouver des mots à mes maux.

Cette maudite guerre d’Algérie m’a tout pris, même mon âme. Avec volonté, courage et beaucoup d’humilité, j’accepte tous les petits boulots que je vais chercher dans différentes villes pour nourrir ma famille qui s’agrandit. Il fallait que je travaille, j’étais le seul revenu pour subvenir à la famille, on comptait sur moi.

En 1975, nous arrivons à dénicher une vieille maison humide en ruines qui nous permet enfin de nous stabiliser en Normandie où j’occupe un poste d’ouvrier en 3/8. Je travaille la nuit et je fais des heures supplémentaires pour toucher un peu plus, pour payer des dettes, des factures des emprunts et pour nourrir et vêtir mes neuf enfants. En surmontant l’abandon des autorités françaises et l’ingratitude, le racisme, la désintégration, le regard des autres, le jugement, la méfiance, la cruauté, l’humiliation, l’hostilité, j’ai pu élever mes neuf enfants dans les valeurs de la République, l’honnêteté, la générosité, le partage, le sens du travail, du devoir, des efforts, le respect des lois et des principes de dignité et d’égalité.

Au nom de la réconciliation, du pardon, du devoir de mémoire, d’une jeunesse perdue, d’une génération sacrifiée, vous ne pouvez et ne devez plus nous ignorer, nous oublier, nous rejeter.

Moi Djillali, harki, ancien combattant, victime et blessé de guerre, supplétif de l’armée française, déraciné, étranger sur une terre d’adoption qui rejette son fils qui a tout perdu prématurément avec une violence inouïe, je suis maintenant malade, diabétique, me déplaçant difficilement seul dans cette vieille maison mais J’ai besoin d’entendre « ce pardon » la reconnaissance de notre histoire de Harkis et enfin un dédommagement à la hauteur des préjudices moraux et physiques que nous avons subis moi et ma famille.

C’est notre devoir de tourner enfin ce chapitre, pour vivre ensemble en harmonie. Je n’ai pas de rancœur mais uniquement une grande tristesse, un grand vide et la peur de l’oubli.

Quelques mois plus tard, le 20 septembre 2021, le président de la République prenait la parole devant les harkis et leurs familles. Lors de cette déclaration, il demande alors pardon aux Harkis, reconnaît les dommages dont ils ont été victimes, admet qu’ils ont été abandonnés par la France et que certains d’entre eux ont été accueillis dans des conditions indignes en métropole, à partir de 1962. La loi portant reconnaissance de la Nation envers les Harkis et les autres rapatriés d’Algérie, portant également réparation des préjudices subis est finalement promulguée le 23 février 2022.

Il aura fallu 60 ans.

60 ans pour permettre à notre pays de porter un regard lucide sur les blessures du passé et pour construire, dans le temps long, une réconciliation des mémoires.

Djillali, votre témoignage n’aura pas été vain.