SAINT TROPEZ : Qu’est devenu le monde depuis les deux con…
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SAINT TROPEZ : Qu’est devenu le monde depuis les deux confinements ?
Le 14 mars 2020, à 22 heures, un ami me téléphone pour me dire que ça y est, c’est confirmé, les restaurants, les cinémas, les théâtres, les boutiques non alimentaires, ferment à minuit, et qu’à partir de lundi, nous n’aurons plus le droit de sortir dans la rue, hors motifs professionnels, sauf avec une autorisation que l’on devra imprimer et signer et seulement pour une heure.
Passé le choc de cette information dont je ne comprends pas encore tout à fait les nuances et les conséquences, je prends mon mari par la main et l’emmène dans notre bistrot préféré. Il est 23 heures. Le propriétaire est assis, atterré, autour de lui son directeur et les employés s’affairent à tout ranger.
— Tu ne vas pas fermer, je lui dis en l’embrassant.
— Ben si, on est obligé, il me répond, embêté.
Je réfléchis un instant.
— D’accord, j’ajoute, comme le gouvernement ainsi que le gouvernement précédent ont fermé un nombre incommensurable de lits dans les hôpitaux, transformons ton café en infirmerie, comme ça, on pourra apporter les premiers soins à des malades qui risquent d’être en surnombre, je sais faire les piqûres, je mets une blouse, une coiffe sur les cheveux, et hop, je n’ai pas peur, d’autres nous suivront !
Quand je suis arrivée à Paris, à 20 ans, c’était le début du sida, beaucoup de copains homos l’attrapaient. J’allais chez eux après mon travail, ils étaient tout maigres, je leur préparais une petite soupe, je les aidais à se laver, se lever, à faire trois pas dans leur appartement, ils mourraient quelques mois plus tard.
— Comme ça, on reste actif, on se sent utile, c’est d’ailleurs un excellent moyen pour rester en bonne santé de se sentir utile, je continue voyant que je n’arriverai pas à le persuader.
Je tente la même chose dans le restaurant d’à côté mais, idem, je n’ai que la tête d’un patron atterré.
Impuissante, j’ai alors observé. Et j’ai vu des choses que je n’arrive pas à oublier au point que parfois j’ai du mal à écrire sur mes sujets de prédilection. Je n’ai envie d’écrire que sur ces deux années, puis je me l’interdis. C’est trop tôt.
Oui, j’ai du mal à oublier que certains employés d’Ehpad n’entraient plus dans les chambres des vieux, qu’ils déposaient les plateaux-repas à l’entrée de la pièce, que pour se justifier de ces actes de malveillance, ils disaient qu’ils étaient obligés d’obéir aux ordres, que des personnes avaient interdiction de dire au-revoir à leurs proches en fin de vie à l’hôpital, que des médecins n’avaient pas le droit d’essayer de soigner avec les médicaments qu’ils connaissaient, que dans la rue, des gens faisaient un écart lorsqu’ils en croisaient d’autres, que des voisines que je croyais censées lavaient leurs fruits et légumes à l’eau de javel, tandis que d’autres laissaient leurs paniers de commissions en quarantaine dans leur salle de bains, que des copains que je trouvais sympas se sont mis à déverser des saloperies et leur haine sur Facebook ou dans les médias en désirant injecter « la maladie » aux personnes non vaccinées et qu’ensuite on ne les soigne pas afin que celles-ci meurent dans des souffrances terribles, que des copines plus jeunes que moi ont demandé à leur docteur des faux certificats de santé afin d’avoir droit en premier au vaccin réservé, au début, aux plus fragiles, que certains obligeaient leur famille à faire des tests de dépistage avant de passer Noël ensemble, j’ai également vu des individus qui engueulaient ceux qui portaient mal leur masque ou se collaient de trop près dans la queue du Monoprix, j’ai aussi vu de mon balcon une dame tomber dans la rue et personne qui s’est arrêtée, je suis immédiatement descendue et, même elle, a eu peur du contact quand je lui ai proposé de l’aider à se relever.
Oui, j’ai du mal à oublier les cordons de sécurité et les contrôles de passe sanitaire devant les restaurants dans lesquels j’ai passé des milliers de déjeuners et de soirées, oui, j’ai du mal à oublier toute cette haine, toute cette peur, toute cette méfiance qui, soudain, ont divisé le monde en deux, j’ai beau essayer, je n’arrive pas à oublier comme je n’arrive pas à oublier toutes ces personnes de petite vertu et de grosse paresse intellectuelle qui se gargarisaient que le monde d’après serait mieux (le monde d’après quoi, je n’ai jamais compris, tout ça peut-être parce que trois pauvres canards se baladaient en liberté dans Paris alors que les parcs où il fait bon respirer étaient fermés à la population… ?), sans même avoir l’intelligence de se dire que si elles désiraient un changement, la première et seule chose à faire était de commencer par se changer elles-mêmes.
Quoiqu’il en soit plus rien dorénavant ne sera comme avant, qu’on le veuille ou non et quelle que soit la manière dont chacun a vécu cette période, cela nous a tous impactés.
Sylvie Bourgeois Harel
Marcelline l’aubergine une chaîne YouTube de Sylvie Bourgeois