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SAINT TROPEZ : « Adieu l’ami Jean-François Kahn », …

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SAINT TROPEZ : « Adieu l’ami Jean-François Kahn », par Sylvie Bourgeois Harel

Sylvie Bourgeois Harel a rencontré Jean-François Kahn dans une voiture qui les emmenait de la gare de Vannes à leur hôtel.

« Nous allions aux Nocturnes littéraires, un salon du Livre organisé par Pierre Defendini. La journée était libre, en fin d’après-midi, nous signions nos livres sur des ports différents, une idée formidable. Jean-François, assis devant, demande au chauffeur s’il serait possible de l’accompagner le lendemain matin tôt à Quiberon où nous signions le soir.

Puis il ajoute en se tournant vers moi et l’autre écrivain :

— Si vous voulez venir avec moi, je vous invite à déjeuner.

La dame qui n’est pas venue pour rigoler, mais pour vendre des livres, il y a plein d’écrivains comme ça dans les salons du livre, ils ne viennent pas pour rigoler, répond immédiatement non. Moi, je réponds immédiatement oui. J’adore qu’on m’invite à déjeuner, d’autant que le restaurant où le salon nous emmène à Sauzon n’est pas bon.

Gêné de compliquer l’organisation du salon en demandant une voiture que pour lui et pas aux horaires prévus, Jean-François dit au chauffeur qu’il trouvera d’autres auteurs pour venir avec nous. Je m’interpose aussitôt.

— Non, non, monsieur, on n’y va que tous les deux, c’est mieux.

Le lendemain matin, je me retrouve à courir avec Jean-François sur la plage de Quiberon, heureux comme un enfant de ces quelques heures de liberté.

— Je préfère courir que marcher, ça ne vous ennuie pas ?

— Non, mais courrons en direction du Sofitel, on ira se prendre un bon petit-déjeuner.

— Vous êtes comme moi, vous aimez les bons petits-déjeuners ?

— J’adore manger, mais uniquement quand c’est délicieux.

— À midi, nous irons chercher ma femme qui fait une cure à Carnac, des amis de l’Évènement du Jeudi nous rejoindront au retournant.

— J’en connais un délicieux à la Trinité-sur-mer, ça vous dit ?

— Vous êtes parfaite, Sylvie !

— Oui, je lui réponds en riant, mon mari dit la même chose.

Pendant le repas, ses amis journalistes nous invitent à déjeuner chez eux le lendemain.

— Super, nous apporterons le dessert avec Jean-François, des tartes aux framboises, ça vous va ? j’ajoute, enthousiaste.

Son épouse, étonnée de notre évidente et récente complicité, en effet, quand je rencontre un homme sympathique et intelligent, j’ai immédiatement 12 ans et je veux jouer, je crée alors une complicité, mais jamais une ambiguïté qui serait liée à la sexualité puisque j’ai 12 ans et que je suis encore une enfant, décline l’invitation.

L’après-midi, Jean-François m’explique le mystère des menhirs et la création du monde sur le site de Carnac, c’est passionnant, nous rigolons surtout beaucoup.

Arrivée au salon, la dame de la voiture râle car elle est installée aux côtés de Jean-François. Dans les salons du livre, Jean-François Kahn est une star (maintenant je dois hélas parler au passé et dire était). Les écrivains qui ne viennent pas pour rigoler ne veulent pas être assis à côté des stars devant lesquelles se forment une longue file de lecteurs impatients. Moi j’adore, ça donne l’impression que tous ces gens sont là pour moi.

— Je vais m’installer à votre place, je dis à la dame qui veut exister en tant qu’écrivain, pas rigoler en tant qu’être humain, allez à la mienne.

— Vous êtes sûre, parce que c’est une sinécure d’être assise à côtés de ces personnalités qui accaparent tous les visiteurs.

Jean-François, debout qui raconte la politique à la criée, ravi de ma présence, se met à vendre mes livres. Chaque fois qu’une personne achète un ou plusieurs de ses ouvrages, il leur ajoute mon Sophie à Cannes ou mon Sophie au Flore qui venait de paraître chez Flammarion.

— Il faut absolument que vous lisiez les Sophie de Sylvie Bourgeois, c’est très sociétal aussi sauf qu’elle, elle aborde le monde par l’humour.

Le lendemain, au déjeuner chez ses amis, des dames très chics de Quiberon arrivent au dessert, chacune avec un kouign amann, très fière de rencontrer le grand Jean-François Khan. Il a à peine le temps de croquer dans les gâteaux bretons dégoulinants de beurre, qu’elles l’assaillent de questions sur les derniers événements. Sauf qu’elles n’ont pas l’information que pour Jean-François, son dernier événement, c’est de m’avoir rencontré.

— Il faut savoir mesdames que Sylvie est le seul écrivain que je connaisse qui passe ses journées en tennis, mais qui signe ses livres, le soir, en bottes.

Jean-François a passé l’après-midi à raconter n’importe quoi sur moi, il avait 12 ans, de mon côté, j’étais aux anges d’observer les têtes de ces dames qui ont dû toutes acheter mes romans en fin de journée.

À Besançon aussi, nous sommes en septembre, il fait très beau et plutôt que de déjeuner à la cantine du salon, j’organise un pique-nique sur les bords du Doubs. Je convie Claude, une amie avocate, son fiancé, quelques auteurs et Émile Péquignet, un horloger réputé, ami de mes parents, qui a créé les montres du même nom. Tous sont enchantés de faire la connaissance de Jean-François. Mais mon Jean-François ne les écoute pas, il ne s’intéresse à aucun d’eux et, comme à Quiberon, il ne leur parle que de moi, que je l’ai conseillé d’acheter du comté et des saucisses de Morteau au marché, que j’ai grandi ici…

À la fin du salon du livre de Mouans-Sartoux, désolé de n’avoir pas m’inviter à dîner avec Guy Bedos le samedi soir car j’avais déjà prévu d’emmener Lionel Duroy au Martinez, à Cannes, chez le chef Christian Sinicropi, Jean-François, pour qui j’étais devenu le repère rires et super bonnes bouffes ,me dit :

— Dès que nous arrivons à Paris, Sylvie, je t’invite à souper.

— Cela aurait été avec plaisir, mais je reste dormir chez une amie à Nice.

Devant la mine déconfite de Jean-Francois désemparé, j’ajoute :

— Tu veux venir dormir chez elle ?

Après avoir dîné tous les trois à la Cave Ricord, le restaurant du dimanche soir des Niçois, Jean-François s’est couché comme un gros bébé dans le lit superposé du fils absent de ma copine.

Des anecdotes avec Jean-François, toutes aussi adorables les unes que les autres, j’en ai des dizaines. Chaque fois que nous nous retrouvions dans un salon du livre, Jean-François me cherchait partout pour m’inviter à déjeuner ou à dîner dans des restaurants étoilés sous l’oeil amusé de mes amis Serge Joncour et David Foenkinos qui le surnommait affectueusement mon amoureux de salon.

Puis j’ai arrêté de fréquenter les salons du livre. J’avais pris goût à plutôt aller passer des bons moments à Saint-Tropez. Mais Jean-François continuait de m’inviter à déjeuner à Paris. Puis j’ai déménagé pour vivre  à l’année dans ce Saint-Tropez que j’ai toujours aimé. Jean-François m’appelait de temps en temps de son moulin.

Aujourd’hui, je suis triste d’avoir appris son décès survenu le 22 janvier 2025. J’ai immédiatement envoyé un texto à David Foenkinos qui m’a aussitôt répondu : oh quelle tristesse ! Je me souviens comme il était heureux avec toi »!

Sylvie Bourgeois Harel.