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RAMATUELLE : Sylvie BOURGEOIS : « Nous sommes ce que nous…

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Floriane Dumont
9 Nov 2023

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RAMATUELLE : Sylvie BOURGEOIS : « Nous sommes ce que nous mangeons » (Hippocrate)

À Ramatuelle, pour la fermeture annuelle des plages de Pampelonne, le restaurateur Patrice de Colmont, qui ne rouvrira son Club 55 que fin mars 2024, explique à Marcelline son éthique en matière de produits sains et locaux.

Enfant, je ne mangeais rien, excepté des crêpes, des tartines de pain beurré avec du miel ou de la confiture rouge, je ne sais pas pourquoi mais il fallait vraiment qu’elle soit rouge, d’ailleurs encore aujourd’hui, je ne mange que de la confiture rouge, plus exactement de la confiture de framboises épépinées, et des pâtes, ce qui rendait folle ma mère, et je la comprends, quand ma petite chatte Cécile refuse de manger les bonnes carottes et courgettes que je lui prépare, je suis triste et inquiète qu’elle n’ait pas sa dose de vitamines et de sels minéraux. Je me souviens qu’un dimanche matin, au petit déjeuner, elle, ma maman pas Cécile, m’avait servi mon assiette de soupe que je refusais d’avaler depuis trois jours. Ça n’avait rien changé excepté que ce jour-là, je n’avais pas eu droit à mon bol de chocolat chaud avec mes tartines, et que cela m’avait marquée au point de m’en souvenir encore aujourd’hui.

À cette époque, on ne parlait pas d’anorexie. Anorexique, je devais certainement l’être enfant. Anorexique, je le suis devenue adulte, à 33 ans, à la mort de mon père suivie quelques mois plus tard de celle de ma mère. Je faisais trois heures de sport tous les jours, beaucoup de cardio pour sécher comme disent les sportifs, je me levais, je courais, quand j’étais à l’étranger, je découvrais les villes grâce à mes footings, je me pesais matin et soir, je voyageais toujours avec un pèse-personne dans ma valise, je ne mangeais rien, excepté des œufs durs, du blanc de poulet, du saumon fumé, des courgettes avec des carottes, les mêmes que Cécile refuse d’avaler, et des pommes ou des framboises. Toute la journée, je ne pensais qu’à ce que je n’allais pas manger, j’organisais mon temps en fonction des repas que je ne prenais pas. Paradoxalement, j’avais énormément d’énergie. J’étais toute maigre, mais ça ne me suffisait jamais, il fallait toujours que je perde quelques grammes. Et quand je passais à table avec des amis, j’étais fière de ne pas me précipiter sur la nourriture, je trouvais vulgaire d’avoir faim, je me croyais être un elfe qui n’a besoin de rien, j’étais un esprit aérien qui ne se vautre pas dans la nourriture terrestre, mes nourritures étaient célestes, je me nourrissais de livres et de mots.

Six ans plus tard, une jeune amie que j’avais invitée à Saint-Tropez, qui hélas s’est suicidée depuis, peut-être avait-elle vu dans le côté mortuaire de mon anorexie sa propre mort qu’elle a désiré affronter avant l’heure, m’a expliqué sur la plage de Pampelonne que j’allais perdre mes cheveux et mes dents et m’a conseillée de voir un grand professeur en endocrinologie chez qui elle faisait son internat de médecine. Mes dents, mes cheveux, ça m’a fait peur, j’ai pris rendez-vous. Après la consultation, ce professeur m’a téléphoné le soir-même pour me dire que je l’avais ému, qu’il était tombé amoureux et qu’il allait me soigner car il désirait m’épouser. J’ai accepté de me faire hospitaliser, on m’a fait des tas d’examens, même une IRM, la veille de mon départ, il m’a enfermée dans son bureau pour essayer de m’embrasser, j’ai refusé, il me serrait fort dans ses bras, il a fini par ouvrir la porte, le lendemain, il a fait venir dans ma chambre tous ses collègues qui, chacun avec leur spécialité, m’ont expliqué l’importance de la nourriture pour notre santé et vitalité, j’ai accepté son protocole de soins à savoir aller chaque semaine à l’hôpital faire des examens et un rééquilibrage hormonal, je lui ai promis de prendre les médicaments et les piqures qui allaient m’ouvrir l’appétit afin de faire cinq repas par jour, j’ai demandé à changer de médecin, il a pleuré, s’est excusé et a accepté, peut-être qu’il était vraiment tombé amoureux de moi, je ne lui en ai pas voulu, il m’a guérie et je comprends qu’on puisse m’aimer.

Quand j’ai retrouvé mon poids normal, un miracle s’est produit, j’ai écrit, sans même le savoir, mon premier roman en un mois. Tous ces mots ou tous ces maux qui ne demandaient qu’à s’exprimer devaient être coincés dans mon cerveau qui ne pensait qu’à la nourriture que je ne devais pas avaler. Plusieurs éditeurs m’ont demandé d’écrire sur l’anorexie, je le ferai peut-être un jour. Depuis, j’ai repris plaisir à manger et je mange en fonction de mon appétit. Je m’intéresse à la nourriture pour sa qualité. Je choisis les meilleurs produits, rien d’industriel bien sûr, et quand je vais au restaurant, je ne vais que chez les chefs en qui j’ai confiance, qui se fournissent localement avec des légumes qui ont poussé sans pesticides, ni produits chimiques, comme Dominique le Stanc de La Mérenda à Nice ou André Del Monte au Maurin des Maures au Rayol-Canadel ou encore le jeune Yohan Aupiais du Braise and Cow à Cogolin.

Et chaque fois que je dévore une soupe de légumes que j’adore maintenant, je pense à ma maman en lui envoyant des baisers au ciel, qui doit être si contente de me voir avaler ma soupe avec autant de plaisir et un si bon appétit.

Sylvie Bourgeois Harel

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Marcelline l’aubergine une chaîne YouTube de Sylvie Bourgeois