PARIS : Pour une diversification des cultures scientifiqu…
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PARIS : Pour une diversification des cultures scientifiquement fondée
La diversité des espèces cultivées restaure la santé des sols et conditionne toute transition agroécologique.
La technologie ne peut y suppléer. Mais l’organisation de l’aval industriel est nécessaire. Entretien avec Michel Duru, directeur de recherche et chargé de mission à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
En matière d’agriculture, les concepts se multiplient, de l’agriculture raisonnée à l’agroécologie. Comment l’agriculture régénératrice s’inscrit-elle dans ce débat sémantique ?
Michel Duru : À l’Inrae, nous avons produit plusieurs publications pour analyser ce qui est bien documenté dans la littérature scientifique. Il y a bien sûr l’agriculture conventionnelle, dont une voie de progrès est l’agriculture raisonnée, l’agriculture biologique, ainsi que l’agriculture de conservation des sols, également bien connue bien que son émergence soit encore assez récente en France et en Europe. La recherche ne s’est pas encore beaucoup saisie de l’agriculture régénératrice. Elle nous vient d’outre-Atlantique et je m’y intéresse depuis quatre ans. Ce sont surtout les entreprises de l’agro-industrie qui promeuvent ce concept. Avec d’autres chercheurs, nous avons commencé à la comparer aux autres formes d’agriculture.
Qu’est-ce qui distingue l’agriculture régénératrice ?
M. D. : Il y a une filiation entre l’agriculture régénératrice et l’agriculture de conservation des sols. Les trois piliers de celle-ci – une couverture permanente du sol, à savoir pas de sol nu, des rotations longues, et la réduction du travail du sol, c’est-à-dire l’absence de labour – sont systématiquement intégrées aux pratiques de l’agriculture régénératrice. S’y ajoute une dimension plus globale en ce qu’elle ambitionne de résoudre divers maux, notamment pour le climat avec la séquestration du carbone dans les sols. Par ailleurs, le terme « régénération » est plus ouvert que « conservation », qui peut paraître passéiste. Toutefois, il reste des des angles morts : dans l’agriculture de conservation des sols comme dans l’agriculture régénératrice, la question des pesticides est parfois un peu oubliée.
Nécessaire association des industriels dans les territoires
Certains soupçonnent l’agro-industrie de s’être emparée du concept pour le façonner à sa manière…
M. D. : Le chercheur argentin Pablo Tittonell¹ distingue trois acceptions de l’agriculture régénératrice : celle des pionniers agriculteurs qui peuvent la combiner avec le bio, celle des grandes firmes qu’il associe au greenwashing, et les intermédiaires. Pour ma part, j’ai commencé à travailler avec des entreprises comme Danone et Nestlé qui m’ont interrogé sur ces questions ; elles reprennent le concept et soutiennent des changements positifs chez les agriculteurs (réduction du travail du sol, ruches, bandes enherbées…). Mais il reste d’autres pratiques à mettre en œuvre pour une agriculture véritablement agroécologique réduisant drastiquement les intrants de synthèse, notamment les pesticides, par exemple le mélange des cultures (association de deux variétés de blé, une graminée et une légumineuse…), qui peuvent nécessiter de modifier des procédés industriels et donc compliquer leurs activités.
“Pour une agriculture du vivant” milite pour une mutualisation des pratiques dans ce sens…
M. D. : Je participe au conseil scientifique de PADV avec une dizaine de chercheurs qui ont contribué à la définition de l’indice de régénération pour évaluer l’état d’une parcelle et définir des trajectoires de progrès. En productions végétales, les indicateurs clés portent sur le degré de diversification des cultures (y compris les légumineuses) et l’importance de la biodiversité non cultivée, qui sont des leviers pour réduire les intrants de synthèse. Car la monoculture n’est pas adaptée à cela. D’ailleurs, en Belgique, une centaine d’agriculteurs et quatre industriels ont fait en sorte de pouvoir utiliser ensemble tous les produits issus de leur agriculture régénératrice, à savoir une dizaine de cultures (blé, féverole, lin, etc., année après année). Mais cette diversité de cultures n’a de sens que si toutes les productions sont valorisées : un industriel seul n’a généralement besoin que d’un ou deux types de plantes. C’est donc l’association d’industriels dans des territoires qui permettra cette diversification.
SOURCE : ILEC – La Voix des marques.