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PARIS : Pertinence d’une date butoir amont

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PARIS : Pertinence d’une date butoir amont

Le principe d’une négociation amont (agriculture-industrie) bornée dans le temps est dans l’esprit de la contractualisation souhaitable par tous, mais il se heurte à des difficultés majeures.

Par Daniel Diot, secrétaire général de l’Ilec.*

Les récentes propositions de légiférer portées par la FNSEA visent entre autres l’instauration d’une date butoir « amont », qui concernerait la contractualisation entre les producteurs agricole et les industriels de la transformation. Dans la logique de l’esprit des lois Égalim, cette idée, qui a germé en début d’année, a l’apparence de la cohérence. Elle répond à la logique de la construction du prix « en marche avant », voulue par le législateur.

Lors de l’adoption des dispositions de la loi Égalim 1 en 2018, il s’agissait de contractualiser chronologiquement d’abord les accords entre les producteurs agricoles et les industriels, lesquels pouvaient alors répercuter le coût de la matière première agricole dans une logique de préservation du revenu des producteurs. La loi Égalim 1 a ainsi consacré le principe de la contractualisation obligatoire, qui figure à l’article L. 624-1 du Code rural et de la pêche maritime.

Par principe et par essence, les industriels ne peuvent qu’être favorables à la contractualisation, pour deux raisons objectives :

Les règles de conformité des entreprises industrielles leur imposent de sécuriser les accords par des contrats formalisés, pour des questions de traçabilité et de sécurité juridique ;
Un industriel est d’autant plus solide sur ses bases pour négocier avec ses clients distributeurs qu’il a contractualisé son coût de matière première agricole.
Pourtant, ne serait-ce que d’un point de vue purement opérationnel, le principe d’une date butoir amont se heurte aux difficultés majeures suivantes :

L’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime rend l’écrit obligatoire, depuis la loi du 18 octobre 2021 (loi Égalim 2) pour tout contrat de vente de produits agricoles livrés sur le territoire français ; or la contractualisation est très loin d’être généralisée du fait notamment des très nombreuses exemptions obtenues souvent à la demande de certaines catégories, et d’une complexité spécifique de ces accords, qui s’éloigne du droit des contrats (clause de révision, mentions obligatoires…).

La durée du contrat relevant de l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime, ne peut être inférieure à trois ans. Cette règle imposant une durée minimale triennale poserait un problème par rapport à ces conventions aval qui sont très majoritairement annuelles, ce qui par ailleurs rend tout relatif l’intérêt d’une date butoir amont, le problème ne se posant finalement qu’une fois tous les trois ans…

Les conséquences en l’absence d’accord doivent être envisagées.

Les règles en la matière, pour ce qui concerne les contrats aval, sont clairement définies par l’expérimentation instaurées à l’article 9 de la loi « Descrozaille » du 30 mars 2023. À défaut d’accord à la date légale, la partie à laquelle le défaut de signature est imputable encourt une sanction administrative. Le fournisseur a le choix entre la poursuite de l’accord à des conditions de prix révisées, ou l’arrêt immédiat de la relation.

Qu’en sera-t-il à l’amont ? Des mécanismes similaires seront-ils prévus ? Ils sont en tout état de cause indispensables, car comme pour toute négociation, l’absence d’accord est une éventualité qu’il faut envisager. La date butoir, aval ou amont si demain elle était mise en œuvre, n’équivaut pas à assurer l’acceptation par le client des conditions de son fournisseur. En tout état de cause, l’absence d’accord ne se traduira pas par une application automatique du prix initial proposé par le producteur agricole. À l’aval, l’absence d’accord est sanctionnée par une amende administrative, mais la question du prix est réglée par le dispositif de la loi Descrozaille : l’application d’un préavis (qui suppose une relation commerciale en place) aux conditions révisées tenant compte des circonstances économiques du marché, ou l’arrêt net de toute relation.

Enfin, la capacité de contrôle et donc de sanction par la DGCCRF paraît extrêmement limitée.

Le nombre d’accords à contrôler serait démultiplié de manière exponentielle en amont : d’autant plus si la règle d’une date butoir amont s’applique à l’ensemble des contrats appréhendés à l’article L. 443-8, qui vise tout contrat tout au long de la cascade de la transformation du produit : la date butoir s’appliquerait-elle uniquement entre le producteur de produits agricoles et le premier acheteur transformateur, ou bien à l’ensemble des contrats tout au long de la chaîne de transformation, tels que visés à l’article L. 443-8 ? Auquel cas, y aura-t-il plusieurs dates butoirs ?

Simplifier d’abord
La solution réside plutôt d’abord dans une simplification des textes qui régissent les négociations commerciales, dont tout le monde s’accorde à dire qu’elles sont beaucoup trop complexes, ce quelle que soit la taille des entreprises. Ensuite dans une application stricte des lois et la sanction systématique de leur non-application.

À ce titre, sécuriser la négociation aval apparaît plus que jamais comme le véritable enjeu, comparée à la mise en œuvre éventuelle d’une date butoir amont qui répondrait de manière inopérante à un problème qui n’a pu se poser que de manière exceptionnelle depuis la mise en œuvre des textes Égalim.

La sanctuarisation du coût de la matière première agricole exprimée dans les tarifs des industriels, qui devrait logiquement être intégrale, selon la loi, n’a atteint que 85 % au titre des négociations aval de 2023. En 2024, ce chiffre est tombé à 67%, ce qui implique a contrario que 33 % de ce besoin n’ont pas été pris en compte par les enseignes, alors que la loi leur impose de ne pas le négocier. Il ne faut pas se tromper de combat, c’est bien le sujet majeur de la rémunération agricole.

À ce titre, la proposition de la FNSEA d’interdire toute négociation avec des structures étrangères pour des produits commercialisés en France, si elle paraît radicale et excessive d’un point de vue strictement juridique, a le mérite de poser le sujet des centrales internationales. La sanction récente d’Eurelec illustre le propos : cette structure, qui manifestement ne respecte pas la date butoir aval, exigera-t-elle que les industriels qui négocient contraints et forcés à Bruxelles aient contractualisés avec l’amont agricole avant le 1er décembre ?

* Tribune publiée dans LSA du 6 septembre 2024.

SOURCE : ILEC – La Voix des marques.