PARIS : Les chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse exposés
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PARIS : Les chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse exposés
Après plus d’un an de chantier, le musée Jacquemart-André à Paris rouvre en beauté.
Jusqu’au 5 janvier 2025 y seront exposés les Chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse, l’institution romaine entrant à son tour en travaux le temps de préparer 2025, année jubilaire où seront attendus encore plus de visiteurs dans la capitale italienne qu’à l’accoutumée.
C’est un évènement. Les œuvres de la Galerie Borghèse quittent rarement leurs cimaises, le palais voulu par le cardinal esthète Scipion Borghèse semblant être le seul écrin à leur mesure. Car c’est bien de lui qu’il s’agit ici. La mission avouée du musée Jacquemart-André est de mettre en avant « des figures de collectionneurs qui ont marqué l’histoire de l’art, à l’image du couple formé par Édouard André et Nélie Jacquemart »[1]. À ce titre, Scipion Borghèse est incontournable lorsque l’on passe en revue tous les noms qui peuplent sa Villa : Sandro Botticelli, Raphaël, Antonello da Messina, Le Parmesan, Lorenzo Lotto, Titien, Véronèse, Le Caravage, Le Bernin, Pierre Paul Rubens, Gerrit von Honthorst, Annibal Carrache, Guido Reni, Le Cavalier d’Arpin, Jacopo Bassano, Ghirlandaio, Le Dominiquin… La fine fleur des peintres italiens et nordiques ayant séjourné en Italie aux XVIe et XVIIe siècles.
La Villa Borghèse naît de la vision ambitieuse du cardinal Scipion Caffarelli-Borghèse (1577-1663). Son oncle et protecteur Paul V (1605-1621) l’élève à la position officielle de « Cardinal-neveu ». On parlait autrefois de « prince de fortune », un terme qui sied parfaitement à Scipion, qui utilise son nom et les richesses de sa famille pour assembler l’une des plus impressionnantes collections d’œuvres d’art de l’histoire, continuée par ses héritiers. Figure controversée, cet esthète sélectionne les œuvres à l’instinct. Il prend ce qui lui plaît, sans faire trop de cas de la méthode. En témoigne l’épigraphe placée à l’entrée de la Villa Borghèse au début du XVIIe siècle qui rappelle très bien aux visiteurs que la Galerie Borghèse est autant un lieu qu’un état d’esprit : « Ito quo voles, petito quae cupis, abito quando voles ». « Va où tu veux, demande ce que tu aimes et repars quand tu veux ».
Dès la première salle de l’exposition, nous rencontrons ceux que Scipion a certainement le plus aimés : le Caravage et Le Bernin. Le premier s’incarne dans la peinture phare de la Galerie Borghèse : le Garçon avec un panier de fruits. Il sert d’ailleurs d’affiche à l’exposition de Jacquemart-André. Si le modèle adopte une posture ouvertement sensuelle, la bouche ouverte et la chemise négligemment défaite, l’œuvre est en réalité une vanité, la corbeille de fruits et la jeunesse du garçon invitant à méditer sur la fugacité de la vie et la nature éphémère des biens du monde mortel. Ce tableau figure depuis 1607 dans les collections Borghèse. Confisqué avec une centaine d’autres par Paul V au Cavalier d’Arpin sous prétexte de détention illégale d’armes à feu, le Garçon avec un panier de fruits est l’une des premières toiles du Caravage, et témoigne ici de l’intérêt particulier que Scipion Borghèse portera au peintre et ses suiveurs toute sa vie durant. Le reste de la première salle est ainsi consacré aux caravagesques. Les scènes représentées illustrent aussi bien l’influence de la technique du clair-obscur du maître sur ses contemporains que celle de ses sujets, joueurs de cartes et musiciens en tête.
À droite du Caravage figure l’Autoportrait du Bernin à l’âge mûr. Plus grand mécène de l’artiste, Scipion lui permettra de devenir le génial promoteur du baroque que l’on connaît aujourd’hui, lui commandant notamment les fameux groupes sculptés de Daphné et Apollon et du Rapt de Proserpine. Nous retrouvons Le Bernin plus loin, dans les traits du pape Grégoire XV, prédécesseur de Paul V dont le buste, resté à Rome, sert de pendant. Ce bronze, qui fait partie des collections du musée Jacquemart-André, évoque en filigrane la paire de portraits de Scipion lui-même que Gian Lorenzo Bernini sculpte en hommage à son protecteur peu avant sa mort.
Au fil des salles, les plus grands noms de la peinture de la Renaissance se succèdent, chacun reflétant l’œil extraordinairement sûr du cardinal Scipion Borghèse, et en toile de fond, sa manière novatrice de collectionner.
Scipion Borghèse est un esthète passionné, d’une grande modernité. Plutôt que de s’embarrasser de théorie dogmatique, il choisit librement chaque pièce qu’il acquiert, favorisant une approche sensible et intuitive en avance sur son temps. Il aménage sa villa selon son plaisir personnel, y faisant dialoguer époques, genres et thématiques. Cette incroyable variété – un peu baroque, c’est le cas de le dire – se retrouve aussi dans le parcours thématique imaginé à Jacquemart-André. Les écoles de Ferrare et Bologne nous plongent ensuite dans les splendeurs de la Renaissance, brillamment représentée par le tondo de Sandro Botticelli, comme un clin d’œil à la merveilleuse exposition ayant eu lieu deux ans plus tôt au même endroit. S’ensuivent pêle-mêle des Descentes de Croix, des Cènes, des saints, des bourgeois, des héros et des déesses, et parmi eux La Fornarina et La Dame à la Licorne de Raphaël… Quasiment que des pièces majeures de l’histoire de l’art.
Au cœur de ce tourbillon de beauté, nous saisissons le véritable génie de Scipion Borghèse : aucune œuvre n’est univoque. Chacune peut se lire à plusieurs niveaux, chacune convoque plusieurs références. Prenons comme exemple l’hypnotique Sibylle de Cumes du Dominiquin présentée dans la troisième salle. Cette huile sur toile est acquise par le cardinal directement auprès de l’artiste bolonais, qu’il n’hésitera pas à faire emprisonner pour le contraindre à travailler pour lui. Demande ce que tu aimes… La jeune femme porte un turban, attribut classique des douze sibylles de la mythologie grecque que la tradition chrétienne reprend à son compte, affirmant qu’elles auraient annoncé la venue du Christ aux peuples antiques, et faisant d’elles le pendant féminin des douze apôtres, également porteurs de la Bonne Nouvelle. Les feuilles de vigne et de lauriers renvoient aussi aux mondes profane et sacré. Voilà donc pour les deux premières lectures. Mais si la sibylle est un sujet classique dans la peinture des XVIe et XVIIe siècles (Michel-Ange, fidèle au néoplatonisme médicéen, les représentera toutes aux murs de la chapelle Sixtine), la présence d’un instrument de musique et d’une partition est inhabituelle. Il s’agirait en fait d’une référence à la fois au goût du commanditaire de l’œuvre, Scipion Borghèse, pour la musique, et à son auteur, Le Dominiquin, musicien amateur lui-même. Il s’agit donc d’un troisième niveau de lecture. Enfin, comment ne pas mentionner la sensualité du modèle ? Sa chemise laisse deviner la naissance de la poitrine que l’on imagine pleine, ses cheveux blonds tirant sur le roux répondent aux canons de beauté de l’époque, sa peau blanche est seulement colorée par le rouge de ses joues et de ses lèvres. Celles-ci, entrouvertes, soulignent l’expression presque extatique du personnage auquel le divin se manifeste, comme le suggèrent ses yeux tournés vers le ciel, hors du cadre. Comment ne pas penser aux sensuelles Marie-Madeleine du Trecento et du Quattrocento italiens ? Dernier niveau de lecture : l’érotisme charismatique caractéristique de la Contre-Réforme, si cher au propriétaire du tableau.
En mettant en regard sujets antiques et artistes contemporains du cardinal, sources profanes et sacrées, chrétienté et paganisme, la collection Borghèse se veut un savant recueil de symboles autant qu’un manifeste de l’évolution du goût et de la pensée des élites culturelles romaines et européennes au XVIIe siècle. À cet égard, la dernière salle de l’exposition représente parfaitement l’essence de la Villa Borghèse. Consacrée à « Amour et Éros », elle évoque la « Salle des Vénus » du Palais Borghèse, aménagée durant la seconde moitié du XVIIe siècle. Y figuraient quarante-quatre tableaux des écoles toscane et vénitienne ayant pour sujet déesses et héroïnes dévêtues. Hommage initié par Scipion et poursuivi par ses héritiers aux nus féminins, et à travers eux, à Vénus, déesse de l’Amour, ainsi qu’à des protagonistes de mythes célébrées par des poètes de l’Antiquité tels qu’Ovide et Apulée. Entre les épaules nues, les poitrines rondes et les perles, les thèmes à la fois mythologiques et licencieux transforment l’esthète averti en voyeur cultivé. Les sens et l’esprit aux aguets, il se tient au milieu du testament concret du cardinal Scipion Borghèse et des siens, l’empreinte matérielle d’un esprit libre et intuitif, d’un mécène à la fois homme de son temps et collectionneur au sens moderne du terme.
Gabrielle Fouquet – Promotion Homère
Informations pratiques et billetterie
Exposition Chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse
Musée Jacquemart-André
158, boulevard Haussmann 75008 Paris
Jusqu’au 5 janvier 2025
SOURCE : Institut ILIADE pour la longue mémoire européenne.