PARIS : « Le Mercosur, un accord de trop »
Les partisans de l’accord avec le Mercosur mettent en avant la faiblesse des volumes négociés pour les secteurs sensibles au regard de la consommation européenne.
1,4% de la consommation pour la viande, 1,5% pour la volaille, et cela parait en effet peu.
Mais ces volumes doivent être considérés au regard des dynamiques de production et de consommation interne à l’UE, et ils viennent s’additionner à d’autres concessions existantes et à venir. D’après les estimations du Centre de recherche de la Commission européenne publiées dans l’indifférence générale en début d’année, l’ouverture croissante du marché européen via un abaissement des droits de douane sur des contingents existants et la signature de nouveaux accords commerciaux avec le Mercosur d’une part, mais aussi demain la Thaïlande, l’Australie, l’Inde, l’Indonésie, la Malaisie, le Mexique ou encore les Philippines aboutira à une augmentation significative du taux d’importation pour les secteurs sensibles.
Ainsi, le ratio importations/consommation, aujourd’hui de 4,7% en UE pour la viande bovine (moyenne 2020/22), atteindrait 7,5% d’ici 10 ans. Pour la volaille, on passerait de 6,5% à 9,2 voire 9,7% (voir l’article joint à cet édito). Une concurrence déloyale qui amplifiera des problèmes propres à la France, qui importe beaucoup sur ces deux secteurs : ses taux d’importations sont de l’ordre de 25% en viande bovine et 50% en poulet. Si les importations de viande française viennent principalement de nos voisins européens, il faut rappeler que la règlementation en matière d’origine reste floue : un produit agroalimentaire adopte l’origine de son dernier pays de transformation ; une origine UE peut ainsi masquer un approvisionnement bien plus lointain.
Mais outre ces considérations relatives à des préoccupations exclusivement commerciales et économiques, c’est le manque de cohérence politique de l’Union Européenne qui inquiète, notamment vis-à-vis de cet accord Mercosur.
Alors que l’UE prône la nécessité de s’engager dans une trajectoire de réduction des émissions, elle accepte d’importer de la viande brésilienne qui aura émis 42,8 kg de CO2eq/kg de viande (chiffre FAO), au lieu de chercher à enrayer la décapitalisation sur son sol, puisque les émissions de la viande française sont de 15,6 kg selon les estimations de l’Institut de l’élevage, et qu’elles tombent à 8,7 kg si l’on prend en compte un stockage de carbone dans les sols associés à la production de viande. Dans le même ordre d’idée, elle souhaite interdire les véhicules à moteur thermique sur son sol, mais veut continuer à les produire pour les pays du Mercosur.
Elle souhaite développer son autonomie en protéines végétales et en stimuler la consommation, mais cet accord conduira à supprimer les taxes à l’exportation sur le soja et les tourteaux appliquées par les pays exportateurs (actuellement de 33% en Argentine), favorisant ainsi les importations par d’autres mécanismes que l’ouverture de quotas. Elle souhaite limiter les effets collatéraux dommageables à l’environnement du libre-échange, mais reporte le règlement sur la déforestation importée, et continue à reporter l’application de la mesure miroir sur les antibiotiques de croissance.
Elle poursuit un objectif de mise en œuvre des plus hauts standards de production mondiaux, mais n’en donne pas les moyens à ses agriculteurs. Le budget de la PAC a été rogné de 20% en 20 ans compte tenu de l’inflation, et son maintien en euros courants ne permettra pas de répondre aux enjeux du maintien de la souveraineté alimentaire en parallèle d’une amélioration des performances environnementales, dans un contexte où les aléas climatiques et sanitaires se font plus fréquents.
Son marché est ouvert à la concurrence des autres puissances qui, elles aussi, soutiennent leur agriculture : d’après l’OCDE, la Chine, les États-Unis, l’Inde et l’UE représentent respectivement 37%, 15%, 14% et 13% du total des subventions versées à l’agriculture dans le monde. Mais alors qu’en moyenne dans le monde, la moitié des soutiens est apportée sous la forme de soutien des prix et que seul 5% de ce soutien encourage l’adoption de mesures environnementales facultatives, l’UE persiste seule dans un modèle vertueux déconnecté des prix internationaux, qui s’ouvre toujours davantage à la concurrence extérieure.
Il y a là largement de quoi légitimer l’exaspération agricole.
Alessandra Kirsch, Directrice générale d’Agriculture Stratégies, Le 15 novembre 2024
SOURCE : Agriculture Stratégies.