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PARIS :
Dracula dans l’imaginaire collectif

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PARIS :
Dracula dans l’imaginaire collectif

Dans cet article, Adenora Harker de la promotion Antoine de Saint-Exupéry revient sur la figure mythique de Dracula, une figure bien différente dans l’imaginaire collectif du personnage historique dont il est inspiré : Vlad III Basarab.

Dracula… Dans l’imaginaire collectif occidental, ce nom est désormais associé aux ténèbres, à l’ombre menaçante du comte errant dans les couloirs de son château lugubre, au vampire buveur de sang. Il faut reconnaître ici le tour de force de Bram Stoker qui, grâce à son roman, publié en 1897, a permis de mettre la lumière sur un nom qui sans lui, serait très probablement tombé dans l’oubli.

Le livre que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Dracula devait à l’origine s’intituler « comte Wampyr ». Lors d’un séjour à Whitby dans le Yorkshire, Stoker se réfugie à la bibliothèque pour échapper à une météo capricieuse. Grâce à la lecture du récit d’un diplomate anglais ayant exercé ses fonctions à Bucarest avant 1820, il découvre l’histoire de Vlad III Basarab.

Celui-ci porte le titre de voïévode lorsqu’il règne sur la principauté de Valachie (dans l’actuelle Roumanie) à trois reprises au cours du XVe siècle. La stabilité de son pouvoir est remise en cause par une branche rivale de sa famille, les Danesti. Mais l’œuvre de sa vie est la lutte contre les incursions turques. L’Empire ottoman occupe alors une partie des Balkans, dont l’actuelle Bulgarie, séparée de la Valachie par la frontière naturelle que forme le Danube. Vlad III se retrouve donc dans la position de dernier rempart contre l’invasion turque. Les relations de la Valachie avec son autre voisin, le royaume de Hongrie, sont assez tumultueuses. Par moments soutien militaire dans la lutte contre les Ottomans, par d’autres clairement hostile à Vlad III, Mathias Corvin, roi de Hongrie, ira même jusqu’à le faire emprisonner pendant douze années. Vlad III porte le surnom de Dracula. Il le tient de son père, que l’on appelait Dracul, en référence à son appartenance à l’ordre du Dragon (il s’agit d’un ordre de chevalerie créé en 1408 par Sigismond de Luxembourg, roi de Hongrie, dans le but de lutter contre la menace ottomane). En effet, Dracul signifie dragon, mais peut également être compris dans le sens de diable. Ajoutons à cela la terrible réputation de Vlad III due au traitement pour le moins sanglant qu’il réservait à ses ennemis ou toute personne ayant eu l’occasion de lui déplaire, et c’est ainsi que Bram Stoker décide de donner au personnage principal de son roman le nom de Dracula.

Le thème du vampire n’est pas nouveau à cette époque dans la littérature européenne. Apparue avec le mouvement anglais du roman gothique à la fin du XVIIIe siècle, cette figure traverse le XIXe siècle pour arriver sous la plume de Bram Stoker. Parmi les textes qui ont pu lui servir de source d’inspiration, nous en citerons trois : Le Vampire de John William Polidori, en 1819 (dont la genèse est identique à celle du roman de Mary Shelley, Frankenstein, lors de l’été 1816 passé à la villa Diodati sur les bords du lac Léman), Carmilla, de son compatriote irlandais Sheridan Le Fanu en 1872, et enfin Le capitaine vampire de la poétesse belge Marie Nizet, paru en 1879.

Il consulte également de nombreux documents pratiques, tels que des cartes, des guides et des horaires de trains, qui vont lui permettre de nous faire voyager de manière réaliste dans une région qu’il n’a pourtant jamais foulée de ses pieds. Son frère avait été engagé comme médecin dans l’armée turque en Bulgarie lors d’un conflit contre les Russes et les Roumains en 1877. Il est fort probable qu’il ait pu lui faire part des superstitions locales et d’éléments géographiques utiles pour la rédaction de son roman.

Le cinéma a pris le relais pour le mener jusqu’à notre époque. En 1922, Nosferatu est porté à l’écran par le réalisateur allemand Friedrich Wilhelm Murnau.

Si l’action se déroule à Brême et non à Londres, et si les personnages portent des noms différents de ceux du roman de Bram Stoker, c’est tout simplement parce que le cinéaste n’avait pas acheté les droits d’adaptation cinématographique. Mais la trame de l’histoire reste bel et bien identique. Par la suite, ce sont des figures aussi emblématiques que Christopher Lee (Le Cauchemar de Dracula, 1958) ou Bela Lugosi (Dracula, 1931) qui endossent le costume du comte Dracula. Ce même costume que l’acteur hongrois portera jusque dans sa dernière demeure après son décès en 1956.

En 1992, Francis Ford Coppola nous présente son Bram Stoker’s Dracula, avec Gary Oldman dans le rôle principal. Le film reste fidèle au roman, malgré quelques libertés, notamment l’histoire d’amour entre Dracula et Mina Harker, absente de l’œuvre de Stoker.

Cependant, on perçoit ici et là des indices qui nous mènent au personnage historique de Vlad III : la scène d’ouverture avec le massacre des Turcs en ombres chinoises et le suicide de son épouse, persuadée que Vlad était tombé au combat, qui se jette du haut d’une tour pour finir dans la rivière Argeş.

En 2014, le film Dracula untold sort dans les salles obscures. Luke Evans y interprète Vlad III et non Dracula. Le scénario ne se base plus sur le roman de Bram Stoker, mais sur le personnage historique.

Cependant, une référence discrète est glissée par le réalisateur Gary Shore à la toute fin du film lorsque Vlad, ayant survécu jusqu’à notre époque, croise le sosie (ou la réincarnation) de son épouse, qui se présente sous le nom de Mina. Cela ne veut pas dire pour autant que le thème du vampire soit absent du film. En effet, Vlad III est acculé par le sultan ottoman Mehmet II, qui non seulement prépare ses troupes pour l’invasion de la Valachie, mais entend également « prélever » un certain nombre de jeunes garçons valaques afin de grossir les rangs du corps des janissaires, parmi lesquels le fils même de Vlad. Poussé dans ses retranchements, Vlad se tourne vers une solution funeste, mais qui lui semble la seule valable pour sauver son fils et son pays : se rendre au pic de la Dent Brisée pour y rencontrer la créature qui y réside et obtenir des pouvoirs surnaturels.

Cette liste cinématographique est loin d’être exhaustive et cet article ne suffirait pas à étudier la place de Dracula dans le cinéma et dans la pop-culture d’une manière plus générale. Mais il semblait intéressant de voir à travers cette sélection l’évolution du personnage de Dracula, du vampire pur sang au dirigeant ancré dans une réalité historique.

Restons dans cette réalité historique. Nous venons de voir comment pour nous, créatures des XXe et XXIe siècles, la figure de Dracula est indissociable, à divers degrés, du vampire. Mais comment était-il considéré par ses contemporains ? Le voyaient-ils également comme un vampire ? Bram Stoker n’a pas choisi d’implanter son héros dans les Carpathes par hasard. Ce sont là des terres de mystères, où les sombres forêts et les montagnes offrent un terreau fertile aux superstitions. Celles concernant la vie après la mort sont particulièrement vivaces dans cette partie de l’Europe. Les premières mentions officielles de vampirisme en Roumanie datent du milieu du XVIIe siècle. Il est très fréquent qu’on puisse établir un lien, pour cette époque, entre les vagues de peste et les signalements de vampires. Par la suite, le vampire sera tout autant rendu responsable des épidémies de choléra, des maladies décimant le bétail, que des conditions météorologiques nuisant aux récoltes.

Malgré les massacres qu’il a commis – car Vlad III dit Țepeș ou l’Empaleur en français, n’a pas usurpé son titre – il n’existe aucune source contemporaine du dirigeant valaque le qualifiant de vampire. Tout au plus, les légendes affirment qu’une personne ayant fait du mal de son vivant peut devenir vampire après sa mort. Mais encore faut-il que le corps du défunt soit intact… Ce n’est pas le cas de Vlad III, dont la tête (ou le scalp, selon les différentes sources) a été exhibée sur les murailles de Constantinople par son ennemi de toujours, Mehmet II.

À la différence du regard que nous portons sur ce personnage complexe, à la frontière entre mythe fantastique et réalité historique, il est donc peu probable que ses contemporains, qu’ils soient rois d’une puissance voisine, ou simples paysans valaques, aient vu en Vlad III un vampire. Un adversaire redoutable, un tyran sanguinaire, ou bien un protecteur, oui. Mais pas un vampire.

Cependant, notre époque ne semble pas vouloir (ou pouvoir) se défaire définitivement de son attrait pour la figure vampirique. En effet, nous allons avoir l’occasion de la retrouver très prochainement dans les salles obscures, et par deux fois. La première, le 25 décembre 2024, avec la sortie du film de Robert Eggers, Nosferatu. La seconde en 2025, avec une adaptation basée sur livre de Bram Stoker, et réalisée par Luc Besson.

SOURCE : Institut ILIADE pour la longue mémoire européenne.