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PARIS : Asterès analyse l’élection d’un nouve…

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PARIS : Asterès analyse l’élection d’un nouveau président au Sri Lanka

Dans la présente note, Asterès analyse l’élection d’un nouveau président au Sri Lanka, dans un contexte de crise économique violente.

Anura Kumara Dissanayake, leader de la coalition de centre-gauche National People’s Power (NPP), vient de remporter l’élection présidentielle au Sri Lanka avec près de 56 % des suffrages. Ce scrutin constitue un tournant historique pour le Sri Lanka qui élit pour la première fois un président social-démocrate et mettant ainsi fin à des décennies de pouvoir de la famille Rajapaksa. Cette élection intervient alors que le pays tente de se relever de la plus grave crise économique qu’il ait connue depuis son indépendance en 1948. Le Sri Lanka a en effet connu son premier défaut de paiement sur sa dette souveraine, suivi du renversement de l’ex-président Gotabaya Rajapaksa après de vives manifestations populaires en 2022. Anura Kumara Dissanayake, surnommé « AKD » par ses partisans, s’est engagé à poursuivre l’ajustement structurel initié avec le FMI, tout en y intégrant davantage de mesures de justice sociale et en renforçant la lutte contre la corruption.

 CONTEXTE DE l’ÉLECTION : la crise économique SRI LANKAISE de 2021

« AKD » a été élu dans un contexte de crise économique sans précédent dans l’histoire du Sri Lanka, le pays ayant subi une récession profonde, provoquée par une sévère crise de balance des paiements et une pénurie de devises en 2022. L’épuisement des réserves a forcé la banque centrale à abandonner la parité fixe entre la roupie et le dollar (200 LKR/$), entraînant une dépréciation brutale de la monnaie dès le 7 mars 2022. Cette chute a privé le pays des ressources nécessaires pour financer ses importations essentielles (comme l’essence, les médicaments et le riz) et honorer sa dette extérieure. Le Sri Lanka a ainsi annoncé son premier défaut de paiement depuis son indépendance en 1948, devenant le deuxième pays en développement à faire faillite à la suite de la pandémie de Covid-19, après la Zambie.

ÉLECTION SRI LANKAISE 2024 : VERS UNE SORTIE DE CRISE DURABLE ?

Les causes de la crise de la balance des paiements sri lankaise résultent à la fois de chocs externes et d’une mauvaise gestion interne.

La pénurie de devises étrangères, notamment en dollars et yuans, ayant conduit à l’effondrement économique du pays, s’explique par une combinaison de facteurs exogènes et nationaux :

Baisse des devises étrangères issues de l’industrie touristique

Le Sri Lanka, surnommé la « perle de l’océan Indien » en raison de ses plages immaculées et sa biodiversité luxuriante, dépend fortement de l’industrie touristique qui représente 10 % de son PIB. En 2018, le secteur du tourisme était la troisième source de devises étrangères, derrière les remises migratoires de la diaspora et les exportations d’habillement, rapportant près de 4,5 milliards de dollars. Cependant, les attentats islamistes de Pâques en 2019 ont réduit de 50 % les arrivées de touristes internationaux, entraînant une perte de 750 millions de dollars pour le pays1. La situation s’est détériorée avec la pandémie de Covid-19 en 2020 et les confinements qui en ont résulté, puis avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. Ces événements ont privé le Sri Lanka d’un nombre considérable de touristes, notamment russes et ukrainiens, qui représentaient respectivement le troisième et neuvième plus importants pays d’où viennent les touristes internationaux2.

Une politique monétaire expansionniste et irresponsable

La Banque centrale du Sri Lanka avait mis en place une politique monétaire excessivement accommodante, entraînant une inflation galopante. Cette forte expansion de l’offre de monnaie, plus rapide que la production nationale de biens et services, a provoqué une forte inflation d’environ 50%3. Cette dépréciation de la roupie sri lankaise face aux devises internationales a aggravé la crise de la balance des paiements, accéléré la fuite des capitaux étrangers et alourdi le poids de la dette extérieure. Cette politique de taux bas visait à financer les déficits budgétaires croissants, conséquence des politiques publiques populistes sous l’administration de Gotabaya Rajapaksa entre 2019 et 2022.

Les erreurs de politiques publiques de l’ancien président Gotabaya Rajapaksa (2019-2022)

Les erreurs de politique fiscale et agricole de Gotabaya Rajapaksa ont aggravé la crise de la balance des paiements du Sri Lanka. Deux politiques publiques clés ont particulièrement contribué à cette situation : la réduction drastique de la TVA, de 15 % à 8 % dès son arrivée au pouvoir en 2019, et l’interdiction des pesticides et engrais chimiques en 2021.
Premièrement, la baisse de la TVA a entraîné une chute d’un tiers des recettes fiscales, faisant passer leur part comparée au PIB de 12 % en 2019 à 8 % en 2020 4. Étant donné que la TVA impose l’ensemble des consommateurs, même à un taux modéré, elle génère des revenus importants grâce à son assiette fiscale large. Cette réduction a donc privé l’État de ressources essentielles, faisant bondir le déficit public à plus de 10 % du PIB entre 2019 et 2022, contre 5 % auparavant5. Cette baisse de la fiscalité est survenue alors que le pays connaît depuis les années 1990 une baisse structurelle de la part des recettes fiscales dans son PIB, ce qui en fait l’un des ratios les plus bas au monde6 7.

Deuxièmement, l’interdiction des produits phytosanitaires en 2021 a provoqué une chute immédiate de 30 % des rendements agricoles, notamment dans les rizières, et un effondrement de 95 % des exportations agricoles clés comme le thé noir, la cannelle et les arachides, fortement dépendantes des engrais chimiques8. Cette mesure a été mise en place pour promouvoir une agriculture « 100 % bio » et réduire les importations coûteuses de pesticides et d’engrais chimiques, généreusement subventionnées par l’État aux agriculteurs sri lankais9. Idéologiquement, cette décision fut soutenue par la militante décroissante et altermondialiste Vandana Shiva, qui a reçu le prix Nobel alternatif en 199310. Toutefois, cette interdiction a fini par creuser le déficit commercial avec la perte de 137,7 millions de dollars en exportations agricoles et une hausse de 45 millions de dollars en importations de riz alors que le Sri Lanka était autosuffisant dans ce domaine depuis 2005.

Une stratégie de développement non soutenable depuis la fin de la guerre civile en 2009 sous Mahinda Rajapaksa (2005-2015)

La crise économique sri lankaise de 2021 trouve ses origines profondes dans la politique de développement court-termiste menée après la fin de la guerre civile en 2009. Après la victoire du gouvernement sri-lankais sur les séparatistes tamouls, un conflit interethnique ayant causé près de 100 000 morts, l’administration de Mahinda Rajapaksa (2005-2015) a lancé une politique de relance massive, avec de nombreux projets d’infrastructures publiques pour reconstruire l’île en 2009, dévastée par plus de 25 ans de guerre civile. Financés par une forte hausse de la dette extérieure, ces investissements publics ont surtout favorisé les régions pro-Rajapaksa dans le sud, au détriment des zones appauvries par la guerre civile dans le nord et l’est de l’île. Leur faible impact économique, et la concentration des projets sur des secteurs peu exportateurs comme la construction, n’a pas généré les recettes fiscales et devises étrangères nécessaires pour résorber le déficit public et rembourser la dette extérieure. Le Sri Lanka a donc traîné de lourds « déficits jumeaux », à la fois budgétaire et extérieur depuis la fin de la guerre civile en 2009. L’insoutenabilité chronique de ces deux déficits a finalement conduit à la crise de balance des paiements de l’économie sri lankaise en 2022.


Par conséquence, le Sri Lanka a subi une contraction économique brutale de près de 9 % en 2022. Cette débâcle économique, aggravée par la rapide détérioration des conditions de vie, a déclenché une vague de mécontentement populaire sans précédent. Face à l’ampleur des manifestations, connues sous le nom d’« Aragalaya » (lutte en cinghalais), le président Gotabaya Rajapaksa a été renversé et contraint de fuir le pays avant d’annoncer sa démission. C’est dans ce contexte politique tumultueux que l’élection de « AKD » incarne le renouveau et répond aux revendications démocratiques des manifestants.

VICTOIRE D’Anura Kumara Dissanayake : UNE ALTERNANCE POLITIQUE INÉDITE AU SRI LANKA

L’élection d’Anura Kumara Dissanayake, ancien marxiste devenu social-démocrate modéré, marque une alternance politique inédite au Sri Lanka. Cette transition politique met fin à l’hégémonie de la famille Rajapaksa, qui a dominé la présidence du pays avec Mahinda Rajapaksa (2005-2015) puis son frère Gotabaya Rajapaksa (2019-2022). Cette alternance politique est d’autant plus significative qu’elle pourrait avoir un impact positif sur l’économie, après les échecs des politiques économiques sous le clan Rajapaksa. L’arrivée au pouvoir d’un challenger comme « AKD » est synonyme de réformes et d’adaptation des politiques publiques au contexte économique actuel. Contrairement à un président sortant qui tend à maintenir le statu quo, un nouveau dirigeant est plus enclin à introduire des réformes et à mettre en place une lutte contre la corruption. En moyenne, l’alternance électorale a des effets bénéfiques sur la performance économique (taux de croissance, inflation, chômage et échanges commerciaux) ainsi que sur l’amélioration de l’indice de développement humain (dont l’espérance de vie et le taux d’alphabétisation) d’un pays11. Ces effets positifs de l’alternance politique sont d’autant plus prononcés dans les pays en développement hors de l’OCDE, comme le Sri Lanka12.
Renégocier avec le FMI tout en poursuivant des réformes sociales et des mesures de lutte contre la corruption. « AKD » a placé la justice sociale au cœur de ses promesses électorales.
Il prévoit d’augmenter la progressivité fiscale des ménages les plus aisés et des multinationales étrangères afin de réduire les inégalités socio-économiques, tout en supprimant la TVA sur les produits essentiels tels que l’alimentation, les médicaments et les fournitures scolaires13.
«AKD » souhaite poursuivre le plan d’ajustement structurel de 2,9 milliards de dollars avec le FMI, initié brièvement par le précédent gouvernement dirigé par Wickremesinghe, qui a permis de stabiliser la macroéconomie sri-lankaise. Ce plan a notamment conduit à une réduction de l’inflation à 0,9 % en mai 2024, une augmentation des réserves de change de 5,5 milliards de dollars en avril 2024, et une consolidation budgétaire qui a fait remonter la part des recettes fiscales à 10 % du PIB14. Toutefois, « AKD » envisage de renégocier certaines modalités de ce plan ainsi que la restructuration de la dette avec le FMI, pouvant menacer le retour à une croissance durable. Il a également promis des mesures fermes pour lutter contre la corruption, symbole des gouvernements précédents, qui ont conduit à classer le Sri Lanka au 115e rang des pays les plus corrompus sur 180 en 202315. Ne pas répéter les erreurs du passé. Bien que « AKD », outsider politique, n’ait pas encore entièrement formulé et mis en œuvre sa politique économique, il existe un risque réel qu’il échoue à sortir le Sri Lanka de la crise économique de 2021. Pour que l’alternance politique ait un effet positif sur l’économie, une rupture nette avec les politiques publiques passées est nécessaire. Cependant, les promesses de « AKD » rappellent plusieurs erreurs des Rajapaksa en matière de politique économique : baisse imprudente des impôts (y compris de la TVA), augmentation des dépenses publiques, maintien d’entreprises nationalisées déficitaires,
contrôle des prix, un développement centré sur le marché intérieur ainsi que la poursuite de la transition vers une agriculture biologique. Si « AKD » promet de réformer politiquement le pays, notamment à travers une nouvelle constitution plus démocratique et une lutte active contre la corruption, sans toutefois entreprendre une refonte en profondeur des institutions économiques au Sri Lanka, il est fort probable que les déséquilibres structurels de l’économie sri lankaise hérités des administrations précédentes perdurent.

Sylvain BERSINGER, chef économiste chez Asterès.

Saranath RIMLINGER MATARAARACHCHIGE, chargé d’études économiques (en stage).

1.Anandasayanan, S., S. Balagobei, and M. Amaresh. “Impact of Tourism Industry on the Economic Growth of Sri Lanka.” International Journal of Accounting and Financial Reporting 10, no. 4 (December 30, 2020): 60. https://doi.org/10.5296/ijafr.v10i4.15991.

2. Tourism Report Sri Lanka (2020) https://www.sltda.gov.lk/storage/common_media/industry-report3985608048.pdf

3. Banque mondiale (2024)

4. Athukorala, Prema-Chandra. “The Sovereign Debt Crisis in Sri Lanka: Anatomy and Policy Options.” Asian Economic Papers, April 25, 2024, 1–28. https://doi.org/10.1162/asep_a_00887.

5. Banque centrale du Sri Lanka

6. Moore, Mick. “The Political Economy of Long-Term Revenue Decline in Sri Lanka.” International Centre for Tax and Development (ICTD), February 28, 2017, Working Paper 65.
https://www.ictd.ac/publication/ictd-wp65/.

7. International Monetary Fund. Asia and Pacific Dept. “Sri Lanka: Selected Issues.” IMF eLibrary, November 11, 2022. https://doi.org/10.5089/9798400222771.002.A001.

8.  Ghose, Devaki, Eduardo Fraga, and Ana Fernandes. Fertilizer Import Bans, Agricultural Exports, and Welfare : Evidence From Sri Lanka. World Bank Policy Research Working Paper, 2023. https://doi.org/10.1596/1813-9450-10642.

9. USDA Foreign Agricultural Service. “Sri Lanka: Restricting Import of Fertilizers and Agrochemicals,” June 3, 2021. https://fas.usda.gov/data/sri-lanka-sri-lanka-restricts-and-bans-import-fertilizers-and-agrochemicals.

10. Nordhaus, Ted, and Saloni Shah. “Sri Lanka’s Organic Farming Experiment Went Catastrophically Wrong.” Foreign Policy, May 20, 2022. https://foreignpolicy.com/2022/03/05/sri-lanka-organic-farming-crisis/.

11. Marx, Benjamin, Vincent Pons, and Vincent Rollet. « Electoral Turnovers. » NBER Working Paper Series, No. 29766, February 2022.

12. Ibid.

13. “NPP Presidential Election Manifesto” 2024. https://www.npp.lk/en/policies/npppolicystatement.

14. IMF. “IMF Executive Board Concludes 2024 Article IV Consultation With Sri Lanka and Completes the Second Review Under the Extended Fund Facility,” June 12, 2024.

15. Indice de la perception de la corruption en 2023. Transparency International. https://www.transparency.org/en/cpi/2023/index/lka