PARIS : Après la décision du tribunal dans l’affaire Rugg…
Partager :

PARIS : Après la décision du tribunal dans l’affaire Ruggia, Adèle Haenel, invitée de Mediapart
Après la condamnation de Christophe Ruggia pour agressions sexuelles sur mineure lundi 3 février, la comédienne Adèle Haenel accorde sa première réaction à Mediapart, cinq ans après sa prise de parole qui a marqué les esprits.
Elle évoque son long parcours judiciaire, les violences sexuelles contre les enfants et sa sortie du cinéma.
L’émission est disponible en accès libre sur Mediapart et sur notre chaine Youtube
« La parole des victimes est méprisée » ; « Les monstres n’existent pas » : le 4 novembre 2019, Adèle Haenel prenait la parole sur Mediapart pour faire état de violences sexuelles subies entre ses 12 ans et ses 15 ans. La force de ses mots sur la justice ou le silence des familles face aux violences sexuelles a provoqué un séisme dans le cinéma et dans toute la société.
Au-delà de son cas personnel, Adèle Haenel racontait le long cheminement du silence à la parole. Elle incitait la justice, les familles, la société à prendre conscience de l’ampleur des violences sexuelles sur les femmes, les garçons, les enfants.
Elle nous incitait à questionner cet insupportable silence qui pèse et qui détruit.
Lundi 3 février, le tribunal de Paris a condamné le réalisateur Christophe Ruggia à quatre ans d’emprisonnement, dont deux ans ferme sous bracelet électronique, pour violences sexuelles sur mineure de 15 ans. Il a annoncé son intention de faire appel.
Après cette décision, la comédienne Adèle Haenel, qui a depuis tourné le dos au cinéma, a accepté notre invitation. Pour boucler une boucle et nous dire ce qui la traverse aujourd’hui.
Une émission présentée par Mathieu Magnaudeix et préparée avec Marine Turchi.
- Sur la décision tu tribunal :
« Ça fait un effet très fort d’entendre ces mots prononcés. D’avoir un acte officiel qu’il lutte contre le déni que j’ai pu rencontrer depuis des dizaines d’années autour de cette histoire, qui acte la gravité des faits, qui acte les faits eux-mêmes. Pour moi c’est un acte qui dit stop au double discours, donc c’est extrêmement important pour moi. » – Adèle Haenel
- Sur sa politisation :
« J’ai été beaucoup décriée parce que j’aurais j’instrumentalisée la justice au profit d’un projet politique. Je suis politisée dans ma vie, mais ça dépend de ce qu’on appelle « politisée ». Moi j’essaye de faire avancer les droits humains de manière générale. Je me bats pour que la vie de toutes et tous soit respectée. Ce que je trouve dingue c’est que j’ai l’impression que je serais la seule à avoir un projet politique dans cette histoire. Mais la défense aussi a un projet politique, c’est juste qu’ils ne le disent pas comme ça. Le projet politique de la défense tel que je le comprends c’est à la fois de nous dire de nous taire hors justice, et dans la justice la même défense poursuit son projet politique qui est de nous faire taire définitivement » – Adèle Haenel
- Sur le système judiciaire :
« Le traitement auquel j’ai eu droit dans cette enquête a été malheureusement exceptionnel. Ça devrait être le cas pour tout le monde. On parle de la justice mais pour moi la justice ce n’est pas que le système judiciaire. La justice c’est qu’est-ce qu’on offre comme possibilités aux personnes qui ont traversé des traumatismes et des agressions, qu’est-ce qu’on leur donne en termes de soins, en termes de logement, de confort matériel, de reconnaissance ? Ça c’est la justice aussi hors du cadre judiciaire, ça nous concerne tous et quand on voit l’ampleur des coûts, on devrait pouvoir les assumer collectivement mais ça impliquerait que les politiques publiques prennent la chose un peu plus sérieusement. » – Adèle Haenel
« Il faut comprendre la violence que c’est ce processus judiciaire. Il faut comprendre ce que ça coute financièrement de l’entamer. On dit cette fable « c’est dans votre intérêt ». Mais à quel niveau dans notre intérêt ? Pour se faire trainer dans la boue, pour perdre sa famille, pour ne plus avoir d’argent, pour neplus avoir de travail. A quel endroit c’est dans mon intérêt ? Et je n’ai pas envie de rentrer dans ce truc-là parce que oui y a un endroit où c’est dans mon intérêt. Oui c’est c’est dans mon intérêt de faire avancer les droits humains pour toutes et tous. Oui ça c’est inaliénable. Et oui pour moi, ce qu’on me demande c’est est-ce que la justice répare ? Oui la justice en tant que concept répare. Je pense que c’est ce que demandent toutes les personnes qui sont victimes, ce qui est le plus réparateur c’est qu’il n’y ait pas d’autres victimes. Moi aujourd’hui ce qui me touche le plus ce n’est pas mon enfance. Mon enfance elle a été vécue comme elle a été vécue. Massacrée comme elle a été massacrée. C’est que les autres enfants puissent avoir le droit à l’enfance en fait. Ça c’est réparateur. » – Adèle Haenel
- Sur les personnalité politiques qui disent aux victimes de porter plainte :
« J’ai envie de leur dire d’abord de ne pas dire aux personnes victimes ce qu’elles doivent faire. Faites votre travail et laissez les personnes victimes choisir ce qui est faisable pour elles, parce qu’il faut comprendre la violence du processus, que ça coute même financièrement d’entamer ce processus » – Adèle Haenel
- Sur le monde du cinéma :
« Ce que je pointe aussi c’est l’idée que se font certaines personnes qu’elles seraient hors du problème, or on est tous dans ce problème, ça constitue notre société cette question de la violence, de la violence sexuelle, des discriminations, de quelles vies valent ou pas de manière générale. Ça concerne tout le monde dans la société. Il n’y aurait pas des petites bulles pétillantes de champagne dans lesquelles on ne serait pas concernés, comme s’imagine être le cinéma. »
L’émission est disponible en accès libre sur Mediapart et sur notre chaine Youtube
De l’enquête au procès. #MeToo : le séisme Adèle Haenel, un podcast en 4 épisodes à découvrir sur Mediapart.