HYERES : Au Musée du Niel, une exposition qui questionne …
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HYERES : Au Musée du Niel, une exposition qui questionne la permanence de la peinture
Deux avant-gardes au Musée du Niel, une exposition qui questionne la permanence de la peinture.
En choisissant d’associer deux avant-gardes françaises du XXe, la Nouvelle Ecole de Paris et Supports/Surfaces, l’exposition 2024 du Musée du Niel interroge le visiteur : la peinture est-elle encore possible ? A quelques trente années de distance, les deux mouvements artistiques n’ont eu en effet de cesse de bousculer les conventions de leur temps. Les voici côte à côte, la génération qui a osé la bascule définitive vers l’abstraction, et celle qui a mené la guerre contre le tableau de chevalet, la cimaise de la galerie ou du collectionneur.
Mais cela serait trop hâtif de se restreindre à la négation de celle qui a précédé pour comprendre ces deux avant-gardes. Jean Bazaine, initiateur en 1941 d’une exposition en plein cœur de Paris occupé, Vingt jeunes peintres de tradition française, affirmait déjà en 1948 :
« La question n’est pas aujourd’hui, de savoir si le peintre doit faire des tableaux de chevalet ou de la peinture murale, s’il peint pour quelqu’un ou contre quelque chose, s’il faut utiliser de l’huile, de l’œuf ou du macadam. La peinture est une manière d’être, la tentation de respirer dans un monde irrespirable ».*
Et si dans les années soixante-dix, les artistes de Supports/Surfaces sont bien sortis du cadre par des gestes radicaux comme celui de Daniel Dezeuze, s’ils ont parodié, notamment Patrick Saytour, le lyrisme de leurs aînés, s’ils ont abandonné le pinceau pour les ciseaux qui découpent la toile libre et le papier pour Noël Dolla et Louis Cane, ils n’ont jamais perdu de vue la nécessité de l’art. D’une certaine façon, l’étendard de la peinture avait été négligé ou oublié à la fin des années soixante et Supports/Surfaces l’a ramassé.
Bernard Ceysson faisait remarquer, dans un entretien avec Catherine Millet dans Artpress, n°132, en janvier 1989, à propos de la mémoire : « Ce travail sur la mémoire est comme une constante de la pensée française et il a ramené un peu support(s)-surfaces(s) dans le sillage de l’École de Paris. Dans les années quarante, les jeunes artistes de l’École de Paris tels Bazaine, Manessier, Lapicque, ont été préoccupés par des questions d’identité et de mémoire. On peut penser que support(s)- surface(s) s’est trouvé confronté à des problèmes identiques, mais, en fait, de façon beaucoup plus complexe. » **
Pour les membres de Supports/Surfaces, faire table rase allait de pair avec la volonté de réinventer la peinture. Quand on lit les entretiens exclusifs organisés par le Musée du Niel en janvier 2024 avec Louis Cane, Daniel Dezeuze et Claude Viallat, il est clair que le refus du chevalet ne signifie pas la mort de la peinture.
Il s’agirait bien même du contraire : « En France, on reste attaché à l’histoire de la peinture. On ne vient pas de n’importe où. On est dans cette culture, dans cette langue picturale, et avec une somme, un volume d’histoire de l’art considérable. C’est notre biographie » affirme Louis Cane****.
« Supports/Surfaces n’était pas une avant-garde qui tournait le dos au passé. Elle analysait le passé pour essayer d’en tirer la substantifique moëlle. L’objectif était le dépassement du champ spatial perspectiviste du tableau. C’était poser la question : la peinture se réalise-t-elle dans le cadre du tableau, en dehors, ou en bordure des deux orientations ? » poursuit Daniel Dezeuze*** dont la simplicité, la clarté de son geste quand il pose un châssis dénudé au sol ou applique des traces de peinture industrielle sur une claie, questionnent encore.
L’exposition du Musée du Niel met ainsi en lumière un paradoxe de la destruction analytique de la peinture qui, finalement, aboutit à une reconstruction, surgie des matériaux, des formes et des couleurs. Où emmener la peinture ? Comment « aller la voir le plus loin possible » selon l’expression de Claude Viallat *** ?
La voie reste ouverte. En outre, la peinture comme absolue nécessité pour les artistes face aux crises politiques et sociales du XXe, ne serait-elle pas aujourd’hui encore, un rempart sensible à un moment de bascule du monde contemporain ?
Jean Bazaine, dans l’isolement de son atelier, persistait dans cette quête : « Le peintre s’efforce inlassablement de sauver le monde en le ressuscitant, de laisser pourrir en lui cette graine fabuleuse pour restituer un monde d’au-delà de la mort, un espace inaltérable, une lumière d’au-delà de l’ombre ».****
« Pour moi l’essentiel, c’est la liberté. Avancer toujours, sans s’occuper de ce que l’on a fait avant. Voilà ce qui compte pour moi ». Jean Le Moal, Paroles d’artiste, Fage éditions, 2018.
* Jean Bazaine, Notes sur la peinture d’aujourd’hui, Floury, 1948
**Deux avant-gardes, de la Nouvelle Ecole de Paris à Supports/Surfaces, catalogue de l’exposition 2024 du Musée du Niel, textes Antoine Villeneuve, direction artistique Françoise Oppermann, 2024
*** Entretiens menés auprès des trois artistes en janvier 2024 par Antoine Villeneuve, commissaire de l’exposition.
Consultables en audio dans l’exposition et retranscrits dans le catalogue
**** Jean Bazaine, Exercice de la peinture, Editions du Seuil, 1973.